Page:Leblanc - La Peur du vertige, paru dans Candide, 1925.djvu/34

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taquable et hors de toute atteinte. Mais ses yeux avaient cette expression trouble et défaillante que Vérange avait bien souvent remarquée aux yeux des femmes qui ne résistent plus, et il se mit à sourire cruellement.

Il avançait sans hâte. Il savait qu’elle était perdue, et qu’elle le savait, et qu’elle s’en réjouissait de toute sa chair bouleversée. Le vertige la précipitait dans le tourbillon terrible où il n’y a plus ni pensée, ni raison, ni vertu, ni pudeur. Comme elle l’avait dit un jour de sa confession, une autre femme surgissait des profondeurs de son instinct, une autre femme qui ne lui obéissait plus.

Il avança encore, les bras tendus et prêts à l’encercler. Alors, tout à coup, elle fléchit sur elle-même. Ses jambes ployèrent comme celles d’une biche blessée. Elle eut un regard de détressé infinie, et, sans plus de forces, agenouillée, tout son être avide de subir la caresse du vainqueur, elle demanda grâce, d’une voix qui frémissait de désir et de volupté :

— Épargnez-moi… je vous en supplie… je ne suis qu’une misérable…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le lendemain, à l’heure de son déjeuner, Gassereaux reçut un pneumatique, timbré de la gare d’Orsay.

« Va chez moi tantôt, à quatre heures. Tu diras à Stéphane que nous avons résolu de voyager, qu’il nous semble possible de chercher dans le mariage notre bonheur et le sien… Enfin, dis ce que tu voudras : la solution annoncée ne peut que lui plaire. Peut-être cependant voudras-tu t’intéresser à lui, veiller sur lui durant quelques semaines, et l’habituer insensiblement à l’idée de vivre en dehors de nous, comme il lui faudra vivre plus tard, quand nous reviendrons d’ici un an ou deux…

« Au revoir, Gassereaux. Et merci. Je ne savais pas ce que c’était que d’être heureux. »

Maurice LEBLANC.
(Copyright by Maurice LEBLANC, 1925.)