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LE ROMAN D’UNE JEUNE FILLE

jamais rien compris… mais vous ne comprenez rien… En cet instant même où je suis là, à vos genoux, où je vous implore, où je vous crie ma douleur et mon obsession, je sens que mes paroles ne vous parviennent pas. Il le faut cependant. Il faut que vous sachiez ce que j’ai à vous dire… écoutez-moi… »

Mais Gilberte ne voulait pas écouter. Quoique son extrême candeur l’eût préservée dans son premier contact avec le monde, elle n’en commençait pas moins à entrevoir le sens de bien des choses, et elle s’effrayait des paroles imminentes. Non, elle ne voulait pas les entendre de la bouche de cet homme. Elle ne voulait pas que ce fût cet homme-là qui les prononçât pour la première fois à son oreille. Elle avait l’intuition subite de leur importance, et de leur douceur, et de leur magie, et que c’est déjà presque une souillure que de les avoir entendues.

Elle le supplia.

« Taisez-vous… je vous en serai si reconnaissante.

— Non, non, s’écria-t-il, je ne veux pas me taire. Depuis que je vous connais, l’aveu est sur mes lèvres, et cela m’étouffe… Gilberte… Gilberte… je vous… »

Elle eut un regard désespéré, un regard de victime qui ne sait pas se défendre et qui attend le coup dont on va la frapper. Il bégaya :

« Oh ! vos yeux… vos yeux… »

Il restait à genoux, humble et indécis, et répétait à voix basse :

« Vos yeux… oui… mon père m’avait dit… des yeux d’enfant… ils vous déconcertent… »

Il frappa du poing sur la table.