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LE ROMAN D’UNE JEUNE FILLE

sion envers l’ami actuel, souvenir du bon passé et vision du présent. Comme elle aurait voulu n’être point venue à cette place avec Guillaume ! Elle eut envie de lui crier : « Allez-vous en !… Allez-vous en ! »

Mais ayant tourné la tête, elle fut stupéfaite de sa pâleur et du bouleversement de ses traits.

« Qu’est-ce que vous avez ? pourquoi ne dites-vous rien ? je vous en prie, parlez… »

Elle s’interrompit. Une idée soudaine la frappait, invraisemblable, mais si délicieuse, si affolante ! Elle plongea ses yeux dans ses yeux, jusqu’au fond de son âme, et la vérité lui apparut si clairement qu’elle articula en s’appuyant contre la paroi du rocher :

« C’était vous… c’était vous… »

Pas un moment la crainte ne l’effleura d’une erreur possible. La tête entre ses mains, les paupières closes, elle se réfugia dans son bonheur comme dans une demeure inaccessible, d’où lui-même ne la pouvait plus chasser.

Il parlait maintenant, à genoux près d’elle, et il semblait à Gilberte que deux voix se réunissaient en cette voix suppliante, que l’inconnu venait joindre sa prière à celle de Guillaume, confondre son image avec la sienne, et se mêler à lui, et l’implorer des mêmes mains, et la chérir du même cœur.

« Gilberte, c’était le jour de votre arrivée à Domfront, vous étiez dans le jardin public. Près des ruines, vous avez soulevé votre voile de deuil, et je vous ai vue. Depuis je n’ai pas d’autre vie que la vôtre. Quand vous avez visité le Logis avec ma mère, j’y étais, caché derrière une tenture. Vous vous êtes arrêtée près de