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LES ÉPINGLES D’OR

La tête entre ses mains, elle continua d’une voix sourde :

« Une amie de pension… Son père et sa mère venaient de mourir… Je l’ai invitée ici… Et tout de suite, j’ai senti qu’elle aimerait Bertrand… et elle l’a aimé… Et lui. Je ne sais pas, lui… L’aimais-tu, Bertrand ?

— Non, fit-il.

— Il ne l’aimait pas… Cependant, elle le troublait… Que de fois j’ai surpris entre eux des regards de désir… Je les surveillais sans une minute de répit… Il n’y avait rien en apparence… mais je ne doutais pas… Une femme sent si bien ces choses-là !… Et une nuit, je me réveillai en sursaut… j’avais cru entendre… Je me lève… Bertrand n’est pas dans sa chambre… J’ouvre sans bruit la porte du couloir… Une heure après, il sortait de sa chambre, à elle… »

Elle dut s’arrêter un moment. Puis elle balbutia :

« Je me suis recouchée. J’étais folle… Oui, il faut que j’aie été folle… J’aurais aussi bien pu le frapper, le tuer… Oui, j’aurais dû le tuer… Mais non, c’est cela que j’ai fait… c’est cette vengeance de folle que j’ai choisie… Écoutez… il y avait deux longues épingles d’or sur ma cheminée, deux épingles qu’il m’avait données en Espagne, pour piquer dans mes cheveux… Je les ai prises et je suis venue près de son lit… Il dormait… Et voilà… Vous comprenez, n’est-ce pas ?… Une épingle dans chaque main, je me suis penchée sur lui, et J’ai enfoncé… j’ai enfoncé… »

Elle tomba à genoux, en sanglotant.

« Mon chéri, pardonne-moi… c’est infâme… Tes pauvres yeux !… Ah ! si je pouvais te donner les miens…