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UN AMOUR

sion qu’on le regardait et que plusieurs personnes qui avaient des journaux en main se parlaient à voix basse quand il passa devant elles.

Il descendit dans sa cabine, s’enferma, empoigna fiévreusement son revolver et l’appuya sur sa tempe…


…Deux heures après, quand un des garçons du restaurant vint lui annoncer que le repas du soir était servi, Jacques Dufriche ouvrit sa porte et se dirigea vers la salle à manger.

« Je vous demande pardon, dit-il à ses voisins de table, je suis en retard. »

Il semblait absolument calme. Son visage n’exprimait aucune angoisse, aucune souffrance.

Autour de lui, ce fut un silence gêné. On observait avec stupeur cet homme qui venait d’apprendre la mort de sa femme et de sa fille et qui gardait un tel sang-froid. Ignorait-il la nouvelle ? Certes non, puisqu’on l’avait vu remonter à bord avec ce même journal français, où tout le monde avait pu la lire, et puisque son air étrange, à cet instant, sa pâleur, ses gestes égarés prouvaient qu’il connaissait l’article. Alors, comment lui était-il possible de contenir à ce point une douleur si violente et de cacher sa blessure avec tant d’indifférence ?

Le soir, son attitude fut pareille, et aussi le lendemain. Il se montrait moins que les jours précédents et restait davantage dans sa cabine. Mais, aux moments où il rejoignait ses compagnons de voyage, il affectait la même liberté d’esprit, la même humeur égale, et sa conversation semblait si naturelle qu’il