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LE BON RIRE

resta inquiète et tourmentée. Que fut-ce, quand elle apprit que le tirage au sort pour l’ordre des départs avait assigné le numéro treize à son mari !

Pour le coup, c’était trop. Elle éclata en pleurs.

« Tu ne partiras pas ! tu ne peux pas partir ! Autant dire tout de suite que tu veux te tuer… C’est un véritable suicide… »

Victor ne put nier que de telles coïncidences l’impressionnaient aussi de façon fort désagréable. Cependant, comme il le dit, quand le vin est tiré, il faut le boire.

« Mais je te le jure, c’est la dernière fois. J’ai neuf chances sur dix de gagner avec ma Beuzeville. Alors c’est la fortune, et on ira planter des choux à la campagne. »

Elle dut céder. Mais par quelles heures atroces passa la malheureuse ! Pour elle, c’était une affaire réglée. Les choses mystérieuses ne donnent pas leur avis avec tant de précision sans des motifs sérieux. Elle regardait Victor avec des yeux pleins de larmes et une grande pitié. À son âge ! en pleine santé ! Quelle catastrophe ! Pour un peu elle eût commandé des vêtements de deuil.

Elle passa les deux derniers jours à l’auberge de Cordat, où la maison Beuzeville-Bréauté avait établi son quartier général. Elle les passa en pleurs et en prières. Victor Danjou, absolument déballé par son chagrin, avait fini par ne plus douter d’une issue fatale. Il regardait son automobile avec le regard désespéré d’un homme qui contemplerait son cercueil. Il partit la mort dans l’âme.