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LE ROMAN D’UNE JEUNE FILLE

Tout alla si mal au manoir avant qu’elle ne comprit sa tâche, il y eut de telles irrégularités dans le service, tant de désordre et de tumulte, qu’il lui fallut bien s’occuper de ces détails d’intérieur.

Quel fut son embarras à la première réprimande qu’elle dut faire !

« Adèle, je vous serais très obligée d’être exacte pour le déjeuner. »

Et elle ajouta aussitôt :

« Toutes les fois évidemment que cela vous sera possible. »

La fatalité voulut sans doute, trois jours de suite, que cela ne fût point possible, et Gilberte dut se résoudre à sévir. Le quatrième jour, elle descendit dans la cuisine, très vite, pour ne pas perdre son indignation en route.

« Comment, Adèle, il est une heure, et…

— Eh bien, quoi ! » interrompit la grosse femme.

Gilberte s’arrêta court, hésita, rougit et balbutia :

« Je serais si désireuse de déjeuner exactement ! »

Désormais, les repas furent servis à l’heure précise.

Cette victoire lui donna de l’assurance. Elle se fit apporter chaque jour le livre de comptes, son examen se bornant d’ailleurs à constater le prix des choses et à vérifier les additions.

Mais avec sa nature affectueuse et ses besoins d’expansion, était-il admissible que Gilberte vécût absolument à l’écart de ses semblables, comme elle l’avait rêvé ? Certes, elle ne consentait à aucune relation, et sa sauvagerie était telle que, après trois mois de séjour, elle n’avait pas encore mis le pied dans les rues