Page:Leblanc - La Vie extravagante de Balthazar, paru dans Le Journal, 1924-1925.djvu/12

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de savon ! Un jour les bans seront publiés, le jeune homme et la jeune fille échangeront les anneaux, ils auront des enfants… autant d’épisodes de la vie courante, comme toutes les aventures qu’on ramène à leurs justes proportions.

Coloquinte murmura :

— En effet… en effet… mais je croyais que vous l’aimiez…

Balthazar aimait-il ? À quoi répondait la crise d’excitation qu’avait déchaînée en lui le baiser de la magnifique Yolande ? Et surtout pourquoi la demande en mariage ? Était-ce un réveil sournois de son cœur ? Était-ce, de la part d’un homme aussi prudent, le besoin de se lancer à son tour dans cet inconnu dont il avait si grande peur ? Ou bien avait-il tout bonnement subi l’influence de Yolande Rondot ? Il n’en savait rien. Un professeur de philosophie quotidienne ne s’analyse jamais, de crainte de se mettre en contradiction avec ses théories. Si on lui pose une question embarrassante, il tranche au hasard, sans souci de logique banale. Ou bien il se tait. Balthazar se tut.

Par le quartier de l’Europe, ils descendirent, taciturnes comme d’ordinaire. Balthazar choisissait les trottoirs ensoleillés. Coloquinte se redressait vaillamment sous son fardeau de dactylographe-femme de ménage.


Rue Saint-Honoré, au deuxième étage d’une maison vénérable, Me La Bordette siégeait en face des portraits à l’huile de son père et de son grand-père auxquels il ressemblait si fort que les trois figures encadrées de favoris, semblaient celles d’un seul et même notaire.

Ce même notaire avait étudié tant d’affaires depuis un siècle, et vu en ce même bureau tant de drames et de niaiseries, que rien ne l’intéressait plus.

— Asseyez-vous, monsieur, dit-il, sans s’occuper de Coloquinte. Vous êtes bien la personne qui se fait appeler le professeur Balthazar ?

— Je ne me fais pas appeler ainsi, monsieur, c’est mon nom.

— Pouvez-vous le prouver ?

Comme le professeur demeurait coi, Me La Bordette reprit d’une voix absente, en usant d’un pluriel qui laissait croire qu’il parlait également au nom de son père et de son grand-père :

— Ayant une communication importante à vous faire, monsieur, et ne sachant où vous découvrir, nous nous sommes adressé à l’agence X. Y. Z. qui nous a remis cette note :

« Le sieur Balthazar…

— Inutile, monsieur, interrompit Balthazar, je la connais.

Me La Bordette consulta son père et son grand-père, et, approuvé par eux, continua la lecture du rapport jusqu’à la dernière syllabe.

— Comme vous le voyez, monsieur, il n’y a là que des indications, et aucun renseignement précis sur votre identité. Vous est-il possible de nous procurer les pièces nécessaires, acte de naissance, livret militaire ?

Balthazar fit signe que, sous ce rapport, il était assez mal pourvu.

— Enfin quoi, monsieur, vous avez bien une carte d’électeur, un permis de chasse, votre quittance de loyer ?

Hélas ! Balthazar eut beau tâter ses poches, c’étaient encore là de ces documents respectables qu’il n’avait pas l’honneur de posséder. Tout au plus put-il offrir un