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que Gourneuve l’avait enlevé par vengeance. On ne s’aimait plus, lui et moi, et il enrageait. Ainsi, le pauvre gosse ?…

— Il a vécu.

— Pas possible !

Balthazar rencontra les yeux de Coloquinte. Comme tout cela s’arrangeait bien ! Il aurait été ravi si ces damnés lions de l’Atlas eussent laissé à l’entretien son caractère d’intimité.

Il proféra :

— Le petit Gustave a vécu. Il est devenu grand.

— Ça c’est tout de même drôle, hurla Angélique, en se frottant les mains. Vous êtes bien sûr ? Vous le connaissez peut-être.

— Oui, je le connais.

— Mais il ne vivait pas sous le nom de Gourneuve ? Il vivait sous un autre nom, sans doute ?

— Oui.

— Lequel ?

— Balthazar.

Elle l’observa avec attention. Elle pressentait la vérité.

— Et vous, votre nom ? demanda-t-elle.

— Balthazar.

Elle s’écria, en tapant à pleines mains sur son maillot gris perle :

— Ah ! ça, c’est encore plus drôle ! Alors, le petit Gustave… ce serait ?…

Il ne répondit pas. Il souriait avec une grimace anxieuse. Angélique l’attira énergiquement dans ses bras.

— Ça, c’est drôle… ça, c’est drôle… Alors le petit Gustave ?…

Les lions de l’Atlas s’exaspéraient. Balthazar enfonçait le nez dans les bonnes joues farineuses d’Angélique, et il pensait que la rencontre d’une mère et d’un fils peut avoir lieu en toute simplicité et sans les péripéties emphatiques des mélodrames.

— Ce que c’est drôle ! ce que c’est rigolo ! vociférait la dompteuse. Et puis, ce que Fridolin va être content. Et la marmaille, donc ! Car tu en as une tapée de frères et de sœurs, Gustave !

Elle fit un cornet de ses deux mains placées autour de sa bouche, et appela :

— Fridolin ! Fridolin !

Les portes des trois roulottes et celle de la machine à broyer les cailloux s’ouvrirent, et une nuée de garçons et de filles s’abattit. Le dernier, Fridolin parut.

C’était un colosse, de taille moyenne et de musculature formidable. Durant les entractes, l’Homme-canon, selon la désignation du programme, effectuait « l’arraché » de la barre et jonglait avec des poids. Il ressemblait à sa femme, mais en rouge. Un pardessus moutarde recouvrait son maillot rose.

Quatre filles et cinq garçons l’entouraient, de six à vingt-cinq ans, tous employés à la ménagerie.

— C’est Gustave ! cria la dompteuse, Tu te rappelles, Fridolin ? le petit Gustave dont je t’ai parlé ? Le fils à Gourneuve… C’est-il drôle ?

L’Homme-canon était un taciturne, mais un sensible, en perpétuel attendrissement. Ses yeux, bordés de rouge, se mouillaient à la moindre occasion. Il écrasa la main de Balthazar entre les siennes et lui dit avec des larmes :

— À la vie, à la mort…

Balthazar se sentit de la famille. Il présenta Coloquinte :

— Ma secrétaire-dactylographe.