Page:Leblanc - La bonne leçon, paru dans Gil Blas, 01-12-1896.djvu/5

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Très doucement, le vieillard posa sa main sur le bras de mon oncle et lui dit avec gravité :

— N’en dites pas trop de mal, monsieur, car cette créature est ma femme.

— Votre femme !

Nous le regardions, interdits. Il reprit lentement :

— Je vous avoue cela, pour que vous sachiez tout avant de me retirer la petite place où je comptais finir mes jours à l’abri du besoin. Oui, voici vingt ans que je l’ai épousée. Elle était d’une bonne famille, nous habitions la province et ma situation prospérait. Puis, tout à coup, la conduite de Célina changea. Elle eut des amants. On le sut, je perdis ma clientèle, et je dus m’en aller. Alors nous avons été de ville en ville, et toujours elle recommençait.

Vous me direz : Pourquoi ne la chassiez-vous pas ? Je l’ai chassée, monsieur, et puis elle revint, et, que voulez-vous ? je l’aimais et j’ai pardonné. Et ainsi j’ai tout accepté, par lâcheté, par pitié aussi. Perdre ma vie en fermant les yeux, ou bien ne penser qu’à mon avenir et repousser la malheureuse ? Mais que fût-elle devenue ? dans quelle abjection serait-elle tombée ?

Il ajouta tristement :

— Les années ont passé, je ne l’aime plus, il y a longtemps que je ne l’aime plus… j’aurais pu la quitter, me refaire une vie, je n’ai pas voulu… parce que… parce que…

Il se pencha vers nous et murmura :

— Écoutez… je suis docteur… et j’ai beaucoup étudié… son cas… eh bien, ce