Page:Leblanc - La demoiselle aux yeux verts, paru dans Le Journal, du 8 déc 1926 au 18 jan 1927.djvu/293

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est un destin de bonheur et de gaieté, qui correspond à ma véritable nature. L’autre est un destin de violence, de mort, de deuil, et de catastrophes, tout un ensemble de forces ennemies qui me persécutent depuis mon enfance et cherchent à m’entraîner dans un gouffre où, dix fois, je serais tombée, si, dix fois, vous ne m’aviez sauvée.

» Or, après les deux journées de Juvains, et malgré notre amour, Raoul, j’étais si lasse que la vie m’a fait horreur. Toute cette histoire que vous jugiez merveilleuse et féerique prenait pour moi un aspect de ténèbres et d’enfer. Et n’est-ce pas juste, Raoul ? Pensez à tout ce que j’ai enduré ! Et pensez à tout ce que j’ai vu ! « Voilà votre royaume », disiez-vous. Je n’en veux pas, Raoul. Entre le passé et moi, je ne veux pas qu’il y ait un seul lien. Si j’ai vécu depuis plusieurs semaines à l’écart, c’est parce que je sentais confusément qu’il fallait échapper à l’étreinte d’une aventure dont je suis la dernière survivante. Après des années, après des siècles, elle aboutit à moi, et c’est moi qui ai pour tâche de remettre au jour ce qui est dans l’ombre et profiter de tout ce qu’elle contient de magnifique et d’extraordinaire. Je refuse. Si je suis l’héritière des richesses et des splendeurs, je suis aussi l’héritière de crimes et de forfaits dont je ne pourrais supporter le poids.

— De sorte que le testament du marquis ?… fit Raoul, qui tira de sa poche un papier et le lui tendit.

Aurélie saisit la feuille et la déchira en morceaux qui voltigèrent au vent.

— Je vous le répète, Raoul, tout cela est fini. L’aventure ne sera pas