Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/100

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Ils causèrent quelques minutes et, peu à peu, tout en l’observant, il amena l’entretien sur les Jorancé.

— Suzanne est venue ce matin ?

Marthe sembla étonnée…

— Suzanne ? dit-elle. Tu ignores donc ?… En effet, tu dormais hier soir. Suzanne a couché là.

Il tourna la tête pour cacher sa rougeur, et il reprit :

— Ah ! elle a couché là…

— Oui. M. Morestal veut qu’elle habite avec nous jusqu’au retour de M. Jorancé.

— Mais… en ce moment ?…

— Elle est à Bœrsweilen, où elle sollicite l’autorisation de voir son père.

— Seule ?

— Non, Victor l’accompagne.

Philippe prononça d’un air indifférent :

— Comment est-elle ? Abattue ?

— Très abattue… Je ne sais pas pourquoi, elle s’imagine que l’enlèvement de son père lui est imputable… C’est elle qui l’aurait poussé à faire cette promenade !… Pauvre Suzanne, quel intérêt pouvait-elle avoir à rester seule ?…

Il saisit nettement, à l’intonation comme à l’attitude de sa femme, que, si certaines coïncidences l’avaient surprise, aucun soupçon du moins ne l’avait effleurée. De ce côté, tout était fini. Le péril s’éloignait.

Heureux, délivré de ses craintes, Philippe eut encore la satisfaction d’apprendre que son père avait passé une excellente nuit et qu’il s’était rendu dès le matin à la mairie de Saint-Élophe. Il interrogea sa mère. Mme Morestal, obéissant comme Philippe à ce besoin d’apaisement et de sécurité qui nous envahit après les grandes secousses, le rassura sur la santé du vieillard. Certes, le cœur était malade ; le docteur Borel exigeait la vie la plus régulière et la plus monotone. Mais le docteur Borel voyait les choses en noir, et, somme toute, Morestal avait fort bien supporté les fatigues, pourtant très dures, de son enlèvement et de son évasion.

— D’ailleurs, tu n’as qu’à le regarder,