Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/111

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Il sortait sans raison, rentrait aussitôt, ne tenait pas en place.

— Ah ! s’écria-t-il, en un moment de défaillance où sa pensée apparut clairement, pourquoi sommes-nous revenus par la frontière ? Pourquoi ai-je secouru ce déserteur ? Car, il n’y a pas à dire, si je ne l’avais pas secouru, rien ne serait arrivé.

Le vendredi soir, on apprit que le chancelier, qui possédait déjà les rapports allemands, avait en mains le dossier français communiqué par notre ambassadeur. L’affaire, purement administrative jusqu’ici, devenait diplomatique. Et le gouvernement demandait la mise en liberté du commissaire spécial de Saint-Élophe, arrêté sur le territoire de la France.

— S’ils y consentent, cela va tout seul, dit Morestal. Il n’y a aucune humiliation pour l’Allemagne à renier des agents subalternes. Mais si l’on refuse, si l’on ajoute foi aux mensonges de ces agents, qu’adviendra-t-il ? La France ne peut pas reculer.

Le matin du samedi, la Gazette de Bœrsweilen, en une édition spéciale, inséra une courte note : « Après une étude attentive, le chancelier a fait remettre le dossier français à l’ambassadeur de France. Les tribunaux allemands examineront le cas du commissaire Jorancé, accusé du crime de haute trahison, et arrêté sur le territoire de l’Allemagne. »

C’était le refus.

Ce matin-là, Morestal emmena son fils jusqu’au col du Diable, et, courbé en deux, suivant pas à pas le chemin de la Butte-aux-Loups, examinant chacune des sinuosités, notant telle racine plus forte et telle branche plus longue, il refit le plan de l’attaque. Et il montrait à Philippe les arbres qu’il avait côtoyés dans sa fuite, et les arbres au pied desquels son ami et lui s’étaient battus.

— C’est là, Philippe, nulle part ailleurs… Vois-tu ce petit espace ? C’est là… J’y suis venu souvent fumer ma pipe à cause de ce tertre où l’on peut s’asseoir… C’est là !