Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/113

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funeste, la France pourrait reculer sans honte, puisque c’est votre témoignage qui nécessite sa réclamation ? Et de la sorte, vous auriez sauvé votre pays… »

Mais Philippe se taisait. Son père était guidé par une conception du devoir qu’il savait aussi haute et aussi légitime que la sienne. De quel droit aurait-il voulu que son père agît selon sa propre conscience, à lui, Philippe ? Ce qui n’était pour l’un qu’un petit mensonge, pour l’autre, pour le vieux Morestal, serait un crime de lèse-patrie. Morestal, en témoignant, parlait au nom de la France. La France ne ment pas.

— S’il y a une solution possible, se disait-il, ce n’est pas à mon père qu’il faut la demander. Mon père représente un bloc d’idées, de principes et de traditions intangibles. Mais moi, moi, que puis-je faire ? Quel est mon devoir particulier ? Quel est le but où je dois tendre à travers tous les obstacles ?

Vingt fois, il fut sur le point de s’écrier :

— Mon témoignage est faux, père. Je n’étais pas là. J’étais avec Suzanne.

À quoi bon ! C’était déshonorer Suzanne, et la marche implacable des événements n’en continuerait pas moins. Or, cela seul importait. Toutes les douleurs individuelles, toutes les crises de conscience, toutes les théories, tout disparaissait devant la formidable catastrophe qui menaçait l’humanité, et devant la tâche qui incombait à des hommes comme lui, affranchis du passé, libres d’agir suivant une conception nouvelle du devoir.

L’après-midi, aux bureaux de l’Éclaireur, ils apprirent qu’une bombe avait éclaté derrière l’automobile de l’ambassadeur d’Allemagne, à Paris. Au Quartier latin, l’effervescence était à son comble. On avait maltraité deux Allemands et assommé un Russe, qu’on accusait d’espionnage. À Lyon, à Toulouse, à Bordeaux, des bagarres s’étaient produites.

Mêmes désordres à Berlin et dans les grandes villes de l’Empire. Le parti militaire dirigeait le mouvement.

Enfin, à six heures, on donnait comme