Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/118

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Depuis trois jours, il y a tant de choses !… Je ne compte plus pour vous.

Il ne protesta pas, car c’était vrai. Il pensait bien à elle, mais de façon passagère, comme à une femme que l’on aime, que l’on désire, mais à qui l’on n’a pas le temps de penser. Il n’analysait même point ses sentiments. Tout cela se mêlait à toutes les peines dont il était accablé.

— Je ne vous oublierai jamais, Suzanne, dit-il.

— Je le sais, Philippe. Et moi non plus, je ne vous oublierai jamais… Seulement, je tenais à vous dire ceci, qui vous donnera un peu de joie… Philippe, je vous promets de continuer ma vie… de la refaire… Il se passe en moi ce que je vous avais dit… J’ai plus de courage, maintenant que j’ai… que j’ai ce souvenir… Vous m’avez donné du bonheur pour toute mon existence… Je serai ce que je n’aurais pas été… une femme honnête… je vous le jure, Philippe, une bonne épouse…

Il comprit qu’elle allait se marier, et il en éprouva de la souffrance. Mais il lui dit doucement, après avoir regardé ses lèvres, son cou nu, toute sa jolie personne savoureuse et désirable :

— Je vous remercie, Suzanne… C’est la meilleure preuve de votre amour… Je vous remercie…

Elle lui dit encore :

— Et puis, voyez-vous, Philippe, je ne veux pas que mon père ait de la peine par moi… On sent si bien qu’il a été très malheureux… Et si j’ai eu peur, l’autre matin, que Marthe ne découvrît la vérité, c’était pour lui.

— Ne craignez rien, Suzanne.

— Non, n’est-ce pas ? fit-elle… Il n’y a pas de danger… Et cependant, cette enquête… Si vous étiez contraint d’avouer ?

— Oh ! Suzanne, comment pouvez-vous croire ?

Leurs yeux se confondaient affectueusement, leurs mains ne s’étaient pas quittées. Philippe eût voulu dire des mots tendres, et dire surtout combien il lui souhaitait d’être heureuse. Mais il ne venait à ses lè-