voisines, situées au second étage, et qui avaient vue sur le côté français. Marthe se jetait sur son lit et s’endormait presque aussitôt, tandis que son mari, accoudé à la fenêtre, regardait le paisible vallon où s’étaient écoulés les jours les plus heureux de son enfance.
C’était là-bas, au bourg de Saint-Élophe-la-Côte, dans le modeste logis que ses parents habitaient avant le Vieux-Moulin. Interne au collège d’Épinal, il passait au village d’enthousiastes vacances à jouer ou bien à courir les Vosges en compagnie de son père – papa Trompette, comme il l’appelait, en raison de toutes les trompettes, clairons, cors et cornets, qui constituaient avec des tambours de tous les modèles, avec des épées et des poignards, des casques et des cuirasses, des fusils et des pistolets, les seuls cadeaux que connût son jeune âge. Un peu sévère, Morestal, un peu trop attaché à ce qui concernait les principes, les usages, la discipline, l’exactitude, un peu emporté, mais si bon, et sachant si bien se faire aimer de son fils, d’une affection si respectueuse et si franche !
La seule fois qu’ils se heurtèrent, ce fut le jour où Philippe, alors élève de philosophie, annonça son intention de poursuivre ses études au-delà du baccalauréat et d’entrer à l’École Normale. Tout le rêve du père s’écroulait, son beau rêve de voir Philippe en uniforme, des soutaches d’or à la manche de son dolman, le sabre au côté.
Choc véhément et douloureux où Morestal, stupéfait, se trouva en face d’un Philippe obstiné, réfléchi, maître de lui, et fermement résolu à conduire sa vie comme il l’entendait et selon ses propres aspirations. Durant une semaine, on disputa, on se fit du mal, on se réconcilia pour se fâcher encore. Puis le père céda tout d’un coup, au milieu d’une discussion, et comme s’il comprenait subitement la vanité de ses efforts.
— Tu le veux ? s’écria-t-il, soit ! Tu seras pion, puisque c’est ton idéal, mais je t’avertis que je décline toute responsabilité