Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/16

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vaillante, dure à la peine, sans peur devant l’obstacle, sans déception après l’échec. Ses yeux noirs et vifs disaient son énergie. Malgré tout l’empire que Philippe exerçait sur elle, malgré l’admiration qu’il lui inspirait, elle garda sa personnalité, sa propre existence, ses goûts et ses haines. Et, pour un homme comme Philippe, rien ne pouvait avoir plus de prix.

— Tu ne dors pas un peu ? demanda-t-elle.

— Non. Je vais le rejoindre.

— Ton père ? dit-elle anxieusement.

— Oui, je ne veux pas tarder davantage. C’est déjà presque une mauvaise action que d’être venu ici et de l’avoir embrassé sans qu’il sache l’exacte vérité sur moi.

Ils demeurèrent silencieux assez longtemps. Philippe semblait indécis, tourmenté.

Il interrogea :

— Tu n’es pas de mon avis ? Tu trouves qu’il faut remettre à demain ?…

Elle lui ouvrit la porte.

— Non, dit-elle, tu as raison.

Elle avait de ces gestes imprévus qui coupent court aux hésitations et vous jettent en face des événements. Une autre se fût répandue en paroles. Marthe, elle, engageait tout de suite sa responsabilité, alors même qu’il s’agissait des plus petits faits de la vie ordinaire. C’est ce que Philippe appelait en riant l’héroïsme quotidien.

Il l’embrassa, tout réconforté par son assurance.

En bas, ayant appris que son père n’était pas de retour, il résolut de l’attendre au salon. Il alluma une cigarette, la laissa s’éteindre et, distraitement d’abord, puis avec un intérêt croissant, il regarda autour de lui, comme s’il cherchait à se renseigner auprès des choses sur celui qui vivait en leur intimité.

Il examina le râtelier où s’alignaient les douze fusils. Ils étaient tous chargés, prêts à servir. Contre quel ennemi ?