sonne ne les verra, je vous le jure, Philippe. Personne ne les caressera jamais…
III
Jorancé, gros homme un peu lourd d’aspect, mais de figure sympathique, avait épousé, vingt-cinq ans auparavant, alors qu’il était secrétaire au commissariat d’Épinal, une jeune fille de grande beauté qui donnait des leçons de piano dans un pensionnat. Après quatre années de mariage, quatre années de torture, pendant lesquelles le malheureux subit les pires humiliations, Jorancé trouva, un soir, la maison vide. Sa femme était partie sans explication, emmenant leur fillette, Suzanne.
La seule raison qui l’empêcha de se tuer, ce fut l’espoir de reprendre l’enfant et de l’arracher à la vie que l’exemple de la mère lui eût imposée dans l’avenir.
Les recherches, d’ailleurs, ne furent pas longues. Le mois suivant, sa femme renvoya la petite, qui, sans doute, la gênait. Mais la plaie demeura au plus profond de lui-même, et ni le temps, ni l’affection qu’il reporta sur sa fille, ne purent effacer le souvenir de la cruelle aventure.
Il se mit au travail, accepta les besognes les plus pénibles pour accroître ses ressources et donner à Suzanne une bonne instruction, passa au commissariat de Lunéville et, sur le tard, fut promu au poste important de commissaire spécial à la frontière. Fonctions délicates de sentinelle avancée qui regarde le plus possible ce qui se passe chez le voisin, et que Jorancé accomplit avec tant de scrupule et d’habileté que ce voisin, tout en redoutant sa clairvoyance, rendait hommage à son caractère et à ses qualités professionnelles.
À Saint-Élophe, il retrouva le vieux Morestal, dont il était le petit-neveu par alliance et qui avait pour lui beaucoup d’amitié.
Les deux hommes se virent presque chaque jour. Le jeudi et le dimanche, Jorancé et sa fille dînaient au Vieux-Moulin.