Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/30

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ture violette qu’il mit sous les yeux de son fils. Et il reprit :

La Paix quand même ! sans nom d’auteur, un livre d’autant plus dangereux qu’il est très bien fait, et non par un de ces braillards auxquels je faisais allusion, mais par un homme d’étude, un provincial, et, qui plus est, un Français de la frontière. Il porterait même notre nom… quelque cousin éloigné… La famille Morestal est nombreuse.

— Vous êtes certain ?… articula Philippe, qui avait pâli en voyant la brochure… Comment savez-vous ?…

— Oh ! un hasard… une lettre qui me fut adressée, et où l’on écrivait : « Tous mes compliments pour votre brochure, mon cher Morestal. »

Philippe se souvint. L’an dernier, il devait venir au Vieux-Moulin, et la lettre lui avait été envoyée par l’un de ses amis.

— Et vous n’avez pas cherché à éclaircir ?

— À quoi bon ! Quand on a dans sa famille un misérable, on n’est nullement pressé de le connaître. Et puisque lui-même a la pudeur de ne pas signer ses petites infamies… N’importe, si jamais il me tombe sous la main, celui-là ! Mais n’en parlons plus…

Il en parla encore, et longtemps, ainsi que de toutes les questions de guerre ou de paix, d’histoire ou de politique, qui lui venaient à l’esprit. Ce n’est qu’après avoir « vidé son sac », comme il disait, qu’il s’écria tout à coup :

— Assez bavardé, les amis ! Quatre heures déjà, Saboureux, je suis votre homme… Comme ça, on vous a barboté vos volailles ? Tu viens, Jorancé ? On va voir quelques bonnes figures de soldats en train de préparer la soupe. Un campement français, il n’y a rien de plus vivant et de plus gai !


IV

Marthe et Suzanne, malgré la différence d’âge, s’entendaient bien. Marthe, indulgente envers son amie, qu’elle avait connue