Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Philippe en perçut toute la passion dans le long silence qui suivit. Et Suzanne éprouva une grande joie, comme si le lien indissoluble des paroles les unissait l’un à autre. Elle ajouta :

— C’est un peu de votre faute, Philippe, et vous en avez eu l’impression pendant le dîner. Oui, un peu de votre faute… À Paris, j’ai vécu près de vous une vie dangereuse… Pensez donc, nous étions toujours ensemble, toujours seuls, et, pendant des journées entières, j’avais le droit de croire qu’il n’y avait personne au monde que vous et moi. C’était pour moi que vous parliez, c’était pour me rendre digne de vous que vous m’expliquiez des choses que j’ignorais, que vous me conduisiez devant les beaux spectacles, dans les églises, dans les vieilles villes… Et moi, j’étais émerveillée. De ce que j’apprenais ? Oh ! non, Philippe, mais du monde nouveau qui s’entrouvrait tout à coup. Vos paroles, je ne les écoutais pas, mais j’écoutais le son de votre voix. Mes yeux ne regardaient que vos yeux. C’était votre admiration que j’admirais, votre amour pour ce qui est beau qui faisait mon amour. C’est vous seul, Philippe, que vous m’avez enseigné à connaître… et à aimer.

Malgré sa révolte, les mots pénétraient Philippe comme une caresse, et, lui aussi, il s’oubliait à écouter le son d’une voix douce et à regarder des yeux qui vous sont chers.

Il dit simplement :

— Et Marthe ?

Elle ne répondit point, et il sentit qu’elle était, comme beaucoup de femmes, étrangère aux considérations de cette sorte. L’amour est une raison qui, pour elles, excuse tout.

Alors, cherchant une diversion, il répéta :

— Il faut vous marier, Suzanne, il le faut, c’est le salut.

— Ah ! dit-elle, en se tordant les mains avec désespoir, je le sais… mais seulement…

— Seulement ?

— Je n’ai pas la force.

— Vous devez avoir la force.