Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/74

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tel accablement sur son visage, que Marthe eut envie de la consoler comme elle le faisait en pareil cas. Pourtant elle ne dit rien. Suzanne l’avait blessée, non point tant par ses questions que par son attitude, par une certaine ironie de l’accent, et par un air de défi qui se mêlait à l’expression de sa douleur.

Elle préféra couper court à une scène pénible dont le sens lui échappait, mais qui ne l’étonnait pas trop de la part de Suzanne.

— Je descends, dit-elle, c’est l’heure du courrier, et j’attends des lettres.

— Ainsi donc, tu me laisses ! dit Suzanne d’une voix entrecoupée.

Marthe ne put s’empêcher de rire.

— Ma foi, oui, je te laisse dans cette chambre… à moins que tu ne refuses d’y rester…

Suzanne courut après elle et, la retenant :

— Tu as tort il suffirait d’un mouvement, d’un mot affectueux… Je traverse une crise affreuse, j’ai besoin de secours, et toi tu me repousses… C’est toi qui me repousses, ne l’oublie pas… C’est toi…

— Entendu, dit Marthe, je suis une amie cruelle… Seulement, vois-tu, ma petite Suzanne, si c’est l’idée de ce mariage qui te détraque à ce point, il serait bon d’avertir ton père… Allons, viens, et calme-toi.

En bas, elles trouvèrent Mme Morestal, un plumeau à la main, un tablier autour de la taille, et livrant le combat quotidien contre une poussière qui n’existait, d’ailleurs, que dans son imagination.

— Vous savez, maman, que Philippe fait toujours la grasse matinée ?…

— Le paresseux ! Il est près de neuf heures. Pourvu qu’il ne soit pas malade !

— Oh ! non, fit Marthe. Mais tout de même, en remontant, j’irai voir.

Mme Morestal accompagna les deux jeunes femmes jusqu’au vestibule. Suzanne s’éloignait déjà, sans un mot, avec sa figure