Page:Leblanc - La frontière, paru dans l'Excelsior, 1910-1911.djvu/96

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nous pouvons y aller carrément, en toute sécurité… Viens, on nous attend…

Il mit la main sur la poignée de la serrure.

— Père ?

— Ah ! ça, qu’est-ce que tu as donc aujourd’hui ? Tu ne viens pas ?

— Non, pas encore, articula Philippe, qui voyait une issue et qui tentait un dernier effort pour s’échapper ; non, tout à l’heure… Il faut absolument que je vous dise… Nous partons d’un point de vue différent… J’ai des idées plutôt différentes des vôtres… et puisque l’occasion s’offre…

— Impossible, mon garçon ! nous sommes attendus…

— Il le faut, s’écria Philippe en lui barrant le passage… Je refuse de prendre à la légère une responsabilité qui n’est pas d’accord avec mes opinions actuelles, et c’est pourquoi une explication est devenue indispensable entre nous.

Morestal le contempla d’un air stupéfait.

— Tes opinions actuelles ! Des idées différentes des miennes ! Qu’est-ce que c’est que toutes ces histoires ?

Plus encore que la veille, Philippe sentit la violence du conflit qu’un aveu déchaînerait. Mais, cette fois, sa résolution était prise. Trop de motifs le contraignaient à une rupture qu’il jugeait nécessaire. L’esprit tendu, tout son être palpitant de volonté, il allait prononcer les mots irrévocables, quand Marthe entra vivement.

— Ne retiens pas ton père, Philippe, le juge d’instruction le réclame.

— Ah ! fit Morestal, je ne suis pas fâché que tu me délivres, ma bonne Marthe. Il a un grain, ton époux. Voilà dix minutes qu’il débite un tas de balivernes. Tu as besoin de repos, mon garçon.

Philippe esquissa un geste. Marthe lui dit à voix basse :

— Tais-toi.

Et d’un ton si impérieux qu’il fut déconcerté.