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— Ça y est, dit-il, nous n’avons même pas besoin des fantassins pour l’empêcher d’aborder. J’ai bien envie de connaître ce type-là. Il ne manque pas d’un certain culot.

Ce qu’il y avait de plus bizarre, c’est que la distance diminuait dans des proportions anormales, comme si le fuyard se fût découragé en comprenant l’inutilité de la lutte. Les agents redoublaient d’efforts. La barque glissait sur l’eau avec une extrême rapidité. Encore une centaine de mètres tout au plus, et l’on atteignait l’homme.

— Halte ! commanda le commissaire.

L’ennemi, dont on distinguait la silhouette accroupie, ne bougeait pas. Les rames s’en allaient à vau-l’eau. Et cette immobilité avait quelque chose d’inquiétant. Un bandit de cette espèce pouvait fort bien attendre les agresseurs, vendre chèrement sa vie et même les démolir à coups de feu avant qu’ils ne pussent l’attaquer.

— Rends-toi ! cria le commissaire…

La nuit était obscure à ce moment. Les trois hommes s’abattirent au fond de leur canot, car il leur avait semblé surprendre un geste de menace.

La barque, emportée par son élan, approchait de l’autre. Le commissaire grogna :

— Nous n’allons pas nous laisser canarder. Tirons dessus. Vous êtes prêts ?

Et il cria de nouveau :

— Rends-toi… sinon…

Pas de réponse. L’ennemi ne remuait pas.

— Rends-toi… Bas les armes… Tu ne veux pas ?… Alors, tant pis… Je compte… Une… Deux…

Les agents n’attendirent pas le commandement. Ils tirèrent, et aussitôt, se courbant sur leurs avirons, donnèrent à la barque une impulsion si vigoureuse que, en quelques brassées, elle atteignit le but.

Revolver au poing, attentif au moindre mouvement, le commissaire veillait.

Il tendit le bras.

— Un geste, et je te casse la tête.

Mais l’ennemi ne fit aucun geste, et le commissaire, quand l’abordage eut lieu, et que les deux hommes, lâchant leurs rames, se préparèrent à l’assaut redoutable, le commissaire comprit la raison de cette attitude passive : il n’y avait personne dans le canot. L’ennemi s’était enfui à la nage, laissant aux mains du vainqueur un certain nombre des objets cambriolés, dont l’amoncellement, surmonté d’une veste et d’un chapeau melon, pouvait à la grande rigueur, dans les demi-ténèbres, figurer la silhouette confuse d’un individu.