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Page:Leblanc - Le Bouchon de cristal, paru dans Le Journal, 25-09 au 09-11-1912.djvu/23

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— À pied.

— Nous avons le temps ?

— Oh ! oui !

Sans trop se hâter, Prasville et les hommes de la préfecture, après avoir jeté un dernier coup d’œil sur la pièce et s’être assurés que rien ne trahissait leur visite, se retirèrent.

La situation devenait critique pour Lupin. Il risquait, en partant, de se heurter à Daubrecq, en demeurant, de ne plus pouvoir sortir. Mais ayant constaté que les fenêtres de la salle à manger lui offraient une sortie directe sur le square, il résolut de rester. D’ailleurs, l’occasion de voir Daubrecq d’un peu près était trop bonne pour qu’il n’en profitât point, et, puisque Daubrecq venait de dîner, il y avait peu de chance pour qu’il entrât dans cette salle.

Il attendit donc, prêt à se dissimuler derrière un rideau de velours qui se tirait au besoin sur la baie vitrée.

Il perçut le bruit des portes. Quelqu’un entra dans le cabinet de travail et ralluma l’électricité. Il reconnut Daubrecq.

C’était un gros homme, trapu, court d’encolure, avec un collier de barbe grise, presque chauve, et qui portait toujours — car il avait les yeux très fatigués — un binocle à verres noirs par dessus ses lunettes.

Lupin remarqua l’énergie du visage, le menton carré, la saillie des os. Les poings étaient velus et massifs, les jambes torses, et il marchait le dos voûté, en pesant alternativement sur l’une et sur l’autre hanche, ce qui lui donnait un peu l’allure d’un quadrumane. Mais un front énorme, tourmenté, creusé de vallons, hérissé de bosses, surmontait la face.

L’ensemble avait quelque chose de bestial, de répugnant, de sauvage. Lupin se rappela qu’à la Chambre on appelait Daubrecq « l’homme des Bois », et on l’appelait ainsi non pas seulement parce qu’il se tenait à l’écart et ne frayait guère avec ses collègues, mais aussi à cause de son aspect même, de ses façons, de sa démarche, de sa musculature puissante.