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Et il parla de nouveau en frappant la table à petits coups secs, comme s’il posait des conditions.

Elle ne bougeait plus. Elle le dominait de tout son buste hautain, distraite, et les yeux vagues. Lupin ne la quittait pas du regard, captivé par ce visage énergique et douloureux, et il recherchait vainement à quel souvenir la rattacher, lorsqu’il s’aperçut qu’elle avait tourné légèrement la tête et qu’elle remuait le bras de façon imperceptible.

Et son bras s’écartait de son buste, et Lupin vit qu’il y avait à l’extrémité de cette table une carafe coiffée d’un bouchon à tête d’or. La main atteignit la carafe, tâtonna, s’éleva doucement, et saisit le bouchon. Un mouvement de tête rapide, un coup d’œil, puis le bouchon fut remis à sa place. Sans aucun doute ce n’était pas cela que la femme espérait.

— Crebleu, se dit Lupin, elle aussi est en quête du bouchon de cristal. Décidément l’affaire se complique tous les jours.

Mais, ayant de nouveau observé la visiteuse, il fut stupéfait de noter l’expression subite et imprévue de son visage, une expression terrible, implacable, féroce. Et il vit que la main continuait son manège autour de la table, et que, par un glissement ininterrompu, par une manœuvre sournoise, elle repoussait des livres et, lentement, sûrement, approchait d’un poignard dont la lame brillait parmi les feuilles éparses.

Nerveusement elle agrippa le manche.

Daubrecq continuait à discourir. Au-dessus de son dos, sans trembler, la main s’éleva peu à peu, et Lupin voyait les yeux hagards et forcenés de la femme qui fixaient le point même de la nuque qu’elle avait choisi pour y planter son couteau.

— Vous êtes en train de faire une bêtise, ma belle madame, pensa Lupin.

Et il songeait déjà au moyen de s’enfuir et d’emmener Victoire.