Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/108

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qui pâlissait, mais ne s’effaçait que lentement.

Florence, pour la première fois depuis qu’elle agissait sous l’influence de la fatalité mystérieuse qui la dominait, pour la première fois depuis qu’elle devait obéir, sans pouvoir s’en défendre, à l’hérédité morbide qui la courbait sous les caprices étranges de ses impulsions irrésistibles, Florence n’éprouvait pas le moindre remords. Jusqu’alors, un sentiment pénible de déchéance et de vague honte se mêlait à la satisfaction qu’elle éprouvait de réussir dans ses tentatives périlleuses et coupables d’apparence, sinon d’intention. Cette fois-ci, il n’en était pas de même. Elle était pleinement contente d’elle, et ce qu’elle avait fait lui inspirait une fierté raisonnée et sans mélange.

Soudain, au-dessus d’elle, elle entendit, répercutée par les rochers, dont l’écho propageait les voix, une conversation que tenaient deux personnages qu’elle ne distingua pas tout d’abord, mais ce qu’ils disaient était suffisant pour qu’elle les reconnût.

— Un cercle rouge et une robe bleue… Allez donc reconnaître cela parmi les centaines de jeunes filles en robe bleue qui sont sur la plage, disait la voix (que Florence identifia aussitôt) de Ted Drew. Qui peut être cette fille, je me le demande ? D’où venait-elle ? Par qui a-t-elle été chargée de me voler ?

— Il y a beaucoup de concurrence dans les opérations de ce genre, répondit d’un ton détaché, mais où perçait l’angoisse, une autre voix au léger accent étranger. C’est une affaire fâcheuse, monsieur Ted Drew.

— Il y a aussi des guets-apens habilement préparés, dit celui-ci brutalement. Un agent vous attire dans un endroit désert et un autre agent, — une femme ou un jeune homme habillé en femme, — vous vole… Comme cela, on a gratis ce qu’on désire.

Sa voix sonnait, menaçante, et l’autre eut une révolte fugitive contre le soupçon qu’il trouvait injurieux, par un point d’honneur assez plaisant chez un homme dont le métier était la fraude et le mensonge.

— Monsieur ! dit-il d’un ton cinglant. On voit que vous appréciez les autres d’après vous-même !

Mais il dut réfléchir ; il domina son irritation et reprit, parfaitement calme :

— Ne perdons pas de temps, monsieur Ted Drew. Je vous affirme que vous vous trompez. Je fais la part de votre légitime colère et je veux bien négliger vos injures ; mais, pour l’amour de Dieu, ne nous égarons pas. Je suis volé autant que vous, et même davantage. Vous perdez de l’argent, soit. Je perds ma réputation et peut-être ma position. Mon maître n’est pas commode et il tenait vivement à cette affaire. Donc, agissons de concert et sans arrière-pensée pour retrouver, si cela nous est possible, la voleuse.

— Je vous demande pardon, dit l’autre, qui se rendit compte que son plus élémentaire intérêt était d’éviter une discussion entre eux. Je suis affolé, vous comprenez…

— Oui, je comprends, mais il faut raisonner de sang-froid. C’est fort malheureux que vous ayez écrasé la tête de cette épingle à chapeau, elle aurait pu être un indice utile.

Leurs voix s’éloignèrent. En entendant les derniers mots, Florence avait porté la main à son chapeau. Elle n’y retrouva pas son épingle. La jeune fille ne se souvenait du reste plus si, dans sa hâte à s’éloigner, elle l’y avait replacée après en avoir frappé Ted Drew.

C’était une complication fâcheuse. Si elle rencontrait les deux hommes, — et elle n’était aucunement sûre de pouvoir les éviter avant de rentrer chez elle, — son costume marin attirerait leur attention, et