Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/126

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que la catastrophe vers laquelle l’entraînait l’affreuse maladie mentale (car quel autre mot pouvait désigner son cas ?) qui s’était abattue sur elle…

Mais, soudain, elle tressaillit. Elle était debout contre le socle d’une statue, cachée dans l’ombre épaisse d’un bosquet, et elle entendait le chuchotement de deux voix qui venaient de l’intérieur même de ce bosquet.

— Ça y est, disait l’une-dés deux voix, ils s’y sont laissés prendre, ils vont tous du côté du potager, tu vas maintenant pouvoir filer avec l’écrin, puisque les alentours de la maison sont débarrassés… Attention, à présent. Je vais partir de mon côté en courant. Je ferai du bruit. S’ils me prennent, tant pis. Après tout, je ne risque rien. Je n’ai aucun objet compromettant sur moi… Toi, pendant qu’ils seront après moi, file sans bruit par la porte du fond du jardin, elle est facile à escalader.

— Et si elle est gardée du dehors ?… Sait-on seulement si la police n’est pas là et moi, je porte l’écrin… alors mon affaire est claire, répondit une autre voix dont le tremblement indiquait l’inquiétude.

— Mais non, poltron, dit le premier. La porte n’est pas gardée, c’est sûr. Fais ce que je te dis, ce sont les ordres du patron, et tout ira bien. Maintenant, attention, je me sauve, et tout à l’heure on m’entendra. Toi, dans deux minutes, file à ton tour, mais sans vacarme, hein ?…

Florence entendit un bruit de pas étouffés qui s’éloignaient.

Elle eut une seconde d’hésitation ; elle songea au malheureux Strong, spolié, ruiné, désespéré, réduit avec sa famille à la mendicité. Et elle se dit qu’elle n’avait pas le droit de ne pas tenter de le secourir et que le stigmate odieux qui marquait sa main cette fois-ci pourrait peut-être l’aider au lieu de la torturer.

Elle regarda sa main. Sa main était blanche.

Florence, un instant, resta immobile, exaspérée de ne pas pouvoir réaliser son plan et concentrant sa volonté sans même s’en rendre nettement compte. Et soudain, sur sa main, l’ombre, rose d’abord, puis rouge vif, se marqua.

Florence se glissa à travers les buissons. Au centre, du massif, dans une petite éclaircie, elle vit un homme aux cheveux roux, vêtu d’un cache-poussière, et qui, aux écoutes, attendait, indécis.

Au bruit d’une branche froissée par la jeune fille, il tressaillit et tourna la tête. Il était pâle et tremblant. Au lointain du jardin, on entendait des appels et le bruit de courses précipitées.

— Chut, souffla Florence sans se montrer. Ne dites rien… Tout est découvert. La police est partout…

— Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’est ?… dit l’homme, dont les dents s’entrechoquaient. Qui êtes-vous ?

— Je suis des vôtres… Voyez, j’ai le signe rouge, dit Florence en tendant à travers les buissons sa main marquée du cercle écarlate. Votre chef m’avait envoyée pour vous aider si cela allait mal… Tout est découvert. On sait que c’est vous le complice. Donnez-moi l’écrin et sauvez-vous par les jardins devant la maison…

L’homme roux n’hésita pas. Une terreur affreuse convulsait son visage. Visiblement, il n’avait qu’une hâte, fuir sans rien garder sur lui de compromettant et sans plus s’inquiéter de l’objet volé. La peur de la police le serrait à la gorge et il accepta l’explication qui lui était donnée, si confuse fût-elle ; il aurait accepté n’importe quel prétexte, il aurait jeté l’écrin plutôt que de se laisser prendre en le portant sur lui.

Il mit l’objet dans la main qui, des buissons, se tendait vers lui, et sans un mot, en se dissimulant au milieu des ténèbres, fila dans le jardin.

Florence ouvrit l’écrin et, d’un coup