Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/209

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— Il me semble, monsieur Gordon, dit Randolph Allen, que vous allez un peu vite. Avant de demander à être lavé de l’accusation portée contre vous, il faudrait apporter des preuves de votre innocence.

— Mon Dieu ! monsieur le chef de police, dit Gordon en prenant un siège, permettez que le prévenu passe un instant la parole au jurisconsulte et que celui-ci vous dise que c’est à la justice à fournir les preuves de sa culpabilité et non au prévenu de donner les preuves de son innocence.

— Vous prétendez alors…

— …Qu’il est impossible à celui qui m’accuse d’appuyer de la moindre preuve ses affirmations.

— Alors, pourquoi vous êtes-vous enfui ?

— Ma foi, cette question m’embarrasse un peu, je vous l’avoue. J’ai agi précipitamment. Je conviens que j’avais peur. Un homme d’esprit, un Français, dont je ne me rappelle plus le nom, a dit que si on l’accusait d’avoir volé les tours de Notre-Dame… vous savez le reste…

— Vous avez la conscience tranquille ?

— Oui, absolument tranquille. En voulez-vous une preuve ? Téléphonez donc à M. Silas Farwell, qui a porté plainte contre moi, et demandez-lui d’apporter ici les preuves de son accusation.

— Je veux bien, dit Randolph Allen. Je suis curieux d’éclaircir cette affaire.

Il décrocha l’appareil.

— Allo ! Monsieur Silas Farwell ? J’ai dans mon cabinet l’avocat Gordon, qui est venu se mettre à ma disposition et qui prétend que l’accusation formulée par vous contre lui n’est pas fondée… Hein ? Vous affirmez encore ?… On vous a volé ces preuves ? C’est regrettable… Bien, je vais prier M. Gordon de rester ici jusqu’à votre arrivée…

Et, se retournant vers l’avocat :

M. Farwell renouvelle ses accusations : Il prétend qu’on lui a dérobé un reçu signé de vous et qui constitue une preuve indiscutable. Il demande que je vous garde jusqu’à son arrivée. Ce n’est peut-être pas très légal, cette confrontation, mais…

— J’y consens volontiers, déclara Gordon. Je vous avertis, cependant, que j’aurai grand’peine à conserver mon sang-froid devant cette canaille.

Un quart d’heure s’étant écoulé, on annonça Silas Farwell.

Quand celui-ci pénétra dans le cabinet, Gordon, à la vue de son calomniateur, ne put se maîtriser. Il bondit de son siège et s’élança sur Farwell.

— Bandit ! Misérable ! cria-t-il d’une voix sifflante en le saisissant à la gorge.

Randolph Allen et le détective eurent le plus grand mal à lui faire lâcher prise.

— Vous avez tort, monsieur Gordon, dit sévèrement Allen, et vous vous mettez dans un mauvais cas.

— Je le sais bien, monsieur le chef de police, répondit l’avocat qui tremblait de colère, mais, décidément, je ne puis me contenir quand je vois ce misérable !

Il fit un mouvement pour se jeter de nouveau sur Farwell, mais le détective, lui saisissant les bras, le contraignit à l’immobilité.