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lièrement chez celle qu’elle considérait un peu comme sa fille.

Elle entendit le bruit de la machine et, surprise, allant à la porte qui communiquait avec le petit bureau, en souleva la draperie et vit la jeune fille au travail.

Florence tourna la tête, réprima un mouvement de contrariété et, se levant vivement, s’approcha de sa gouvernante.

— En voilà une curieuse, lui dit-elle d’un ton enjoué où Mary crut remarquer un léger embarras, — mais vous voyez, je travaille, j’ai beaucoup à faire… une foule de lettres en retard… Et… Il faut me laisser seule, ma bonne Mary pour que j’ai le temps de finir.

Tout en parlant, elle avait jeté affectueusement son bras autour des épaules de la vieille gouvernante qu’elle conduisit doucement jusqu’à la porte. Quand Mary fut sortie, Florence donna un tour de clé et se remit au travail avec ardeur.

Mary, surprise, attristée et plus encore peut-être inquiète de la façon inhabituelle dont l’avait éconduite la jeune fille, généralement si franche et si confiante envers elle, descendit l’escalier, le visage assombri.

Dans le grand vestibule elle s’arrêta, toujours préoccupée par les allures singulières de Florence. Des journaux traînaient sur une table. Mary, machinalement, en prit un, le déplia. C’était un journal de l’avant-veille, et elle allait le rejeter quand, tout à coup, elle tressaillit profondément, comme secouée par une commotion violente.

L’entrefilet suivant avait frappé ses yeux :

Le fameux déséquilibré Barden, dit « Jim-Cercle Rouge », tue son fils et se suicide

« Le docteur légiste Max Lamar, qui a étudié à fond le cas des Barden, et auquel nous avons demandé son avis autorisé, estime qu’il serait indispensable d’isoler complètement, pour les empêcher de nuire, les derniers descendants de cette race de redoutables déséquilibrés, si, par hasard, il en existait encore… »

Une porte s’ouvrit. Mme Travis, sans s’arrêter, traversa le vestibule. Mary cacha précipitamment le journal et, se détournant, feignit de mettre de l’ordre sur la table. Ses mains tremblaient et une émotion bouleversait ses traits.

Bientôt, elle prêta l’oreille au bruit d’un pas qui descendait l’escalier et elle courut se dissimuler derrière un immense vase d’où s’élançaient et retombaient, enchevêtrés, les bras tentaculaires d’une plante échevelée.

Florence sortait, un volumineux paquet de lettres à la main. La vieille gouvernante, de loin, la suivit en se cachant. Elle vit la jeune fille traverser le jardin, franchir la grille et gagner le coin de la prochaine rue où se trouvait une boîte aux lettres. Florence, d’un geste satisfait, y jeta son courrier, revint sur ses pas, joyeuse. Elle rentra dans la maison et remonta vers sa chambre.

Quand la porte se fut refermée, Mary, sur la pointe des pieds, gravit à son tour l’escalier.

Devant la porte de Florence, elle s’arrêta, si émue qu’elle craignit que la jeune fille n’entendit battre son cœur dans le silence de la maison muette. Un moment, elle hésita, le visage contracté par la répulsion que lui inspirait ce qu’elle allait faire, mais les inquiétudes de son affection pour l’enfant qu’elle avait vu naître, qu’elle avait élevée, qu’elle n’avait jamais quittée, furent plus fortes que les répugnances de sa délicatesse, Elle se baissa et, à travers le trou de la serrure, épia la jeune fille dans sa chambre.

Elle vit Florence de profil, assise dans un fauteuil devant la vaste cheminée.

Florence tenait dans ses mains une liasse de papiers dont Mary ne put distinguer la nature. Elle les froissa l’un après l’autre, les réunit en une boule énorme, avec une allumette y mit le feu, et les jeta dans l’âtre où elle les regarda brûler avec ce même sourire satisfait qu’elle avait, quelques minutes avant, en expédiant ses lettres.

Le lendemain matin, dès que Florence