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Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/4

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le mur, comme projetée par une puissance indomptable.

Le cercle était là de nouveau.

Et puis, soudain, il disparut. Plus rien. La muraille vide.

Jim respira.

Mais il y eut, coup sur coup, deux apparitions, deux boules de lumière qui jaillirent du mur, encore une interruption, puis toute une série d’éclairs, séparés les uns des autres par des intervalles réguliers.

Machinalement, Jim les compta, ainsi que l’on compte les vibrations lumineuses d’un phare.

Il y en eut quinze.

Une autre interruption. Puis deux éclairs.

Jim attendit. Mais il ne se produisit plus rien et, au bout de quelques minutes, il put croire qu’il ne se produirait plus rien.

— Deux… Quinze… Deux… murmura-t-il, se rappelant les nombres respectifs des trois séries d’apparitions du cercle rouge.

Cela n’eut pour lui, tout d’abord, aucune signification, car il n’en cherchait point. Mais, après un instant, il eut cette idée, tout à fait inconsciente, d’ailleurs, de confronter chacun de ces nombres avec la lettre qui lui correspondait dans l’alphabet.

Il obtint un B, un O et un B.

Alors, il éprouva une surprise sans bornes. Réunies, ces trois lettres — il s’en rendit compte — formaient un mot, ou plutôt un nom : Bob.

Et Bob, c’était le nom de son fils.

L’émotion le fit chanceler, il dut s’asseoir sur l’escabeau. Mais son effroi mystérieux était dissipé. Il n’était plus en face d’un prodige, et, sans comprendre encore la crise par laquelle il venait de passer, sans comprendre qu’il avait été le jouet de son cerveau malade et que le cercle rouge qu’il avait dessiné, ce cercle rouge qui l’obsédait, s’était, par hallucination toute naturelle, confondu avec la tache de lumière qui dansait sur le mur pour lui transmettre les signaux de son fils Bob, il comprenait, du moins, l’origine de cette tache de lumière et le sens de ces signaux.

Un grand apaisement l’envahit. Le cauchemar sournois et terrifiant de l’inexplicable s’éloignait de lui. Il savait.

Il savait ! Quelque part, juché sur un toit voisin, Bob, à travers le soupirail d’une des lucarnes de la cellule, l’avertissait de sa présence au moyen d’une petite glace de poche qui captait des rayons de soleil et les envoyait dans la cellule obscure.




II


Cette lucarne, par où un peu de jour et d’air entrait dans la cellule, était toujours ouverte. Le soupirail, en pente douce, qui perçait un mur d’environ deux mètres d’épaisseur, de la lucarne à la cellule, allait en s’évasant.

Bien souvent, Jim s’était glissé à plat ventre jusqu’à l’orifice extérieur, trop étroit pour qu’on ait cru nécessaire de le griller, et de là, pendant de longues heures, le prisonnier avait plongé son regard plein d’ennui farouche sur une petite cour, sombre comme un puits, dont il apercevait, à trente pieds au-dessous de lui, les pavés humides et verdâtres.

Jim, après s’être assuré que le couloir était désert, refit cette manœuvre. Ses épaules, trop larges, se heurtèrent aux moellons des parois, mais sa tête émergea.

En face et un peu au-dessus de lui, il y eut un léger sifflement.

Il leva les yeux.

Bob se trouvait sur un toit, de l’autre côté de la cour, au bas d’une pente d’ardoises si abrupte que c’était folie de s’y aventurer. Deux corps de cheminées en briques l’encadraient, et Jim s’avisa, sans surprise d’ailleurs, car il savait son fils assez peu brave, qu’une corde lui entourait la taille et que quelqu’un, par conséquent, posté derrière une des cheminées, devait le tenir solidement.

Trois mètres au plus séparaient le père et le fils. Bob allait parler, mais Jim lui souffla :

— Tais-toi. Pas un mot.

Alors Bob saisit à côté de lui une planche qui était posée sur les ardoises et la rabattit comme un pont-levis entre le toit et le rebord de la lucarne.