Page:Leblanc - Le Cercle rouge, paru dans Le Journal, 1916-1917.djvu/81

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Je ne sais pas ce qu’il lui a pris. Regarde-le là-bas. Il a détalé en te voyant remonter, répondit sa complice en désignant une forme, lointaine déjà, qui courait, avec une remarquable vitesse.

— Il n’y a qu’à détaler nous-mêmes. Ça va amener du monde, ces coups de revolver. Meeks, je le retrouverai tôt ou tard. Il a arrêté Jack, mon neveu, et avec moi, ces choses-là, ça se paye. Maintenant filons chacun de notre cote et restons terrés pour quelques jours. Si j’ai besoin de toi, je te téléphonerai. Bonsoir, Clara.

— Bonsoir, Sam Smiling… Dis donc, prends garde qu’on ne te voie en rentrant. Tu as la figure toute tachetée. Ta peinture s’en va.

— Dame, j’ai eu chaud. Et puis, je m’en doutais bien que ce noir-là c’était de la camelote…

Laissons le gros homme au visage noirci et sa mystérieuse complice qui se séparent pour regagner leurs repaires respectifs, laissons l’agent Meeks, qui est étendu au bas de l’escalier de marbre, revenir, s’il le peut, de l’évanouissement consécutif à sa chute et que le tranchet de cordonnier de son ennemi a failli tragiquement prolonger à jamais par la mort ; laissons même — nous la rejoindrons tout à l’heure — Florence qui, vers Blanc-Castel, court à perdre haleine, avec, sur le bras, comme un trophée, le manteau noir enfin conquis, — revenons au Club élégant où Max Lamar a donné rendez-vous à Randolph Allen.

Le médecin légiste qui, après avoir quitté la Station centrale de police, était passé d’abord à l’asile, pour voir un malade réclamant ses soins, puis chez lui pour s’habiller, arriva fort tard au club. Allen, cependant, ne s’y trouvait pas encore et Max Lamar, résolu à l’attendre, au lieu de gagner la salle de restaurant où sa table était retenue, s’arrêta dans le vaste et élégant fumoir.

Quand il y fit son entrée, vers lui toutes les mains se tendirent.

Sans quitter le pardessus couvrant son habit noir, il s’approcha de deux membres du club avec lesquels il était particulièrement lié, et qui, installés dans de confortables fauteuils, causaient gaiement. Il s’appuya négligemment à une table près d’eux et, allumant une cigarette, écouta leur conversation.

— C’est un philanthrope déguisé en femme qui a fait le coup, n’est-ce pas, docteur Lamar ? s’exclama un vieillard pétulant (il avait eu recours à des usuriers dans sa jeunesse et leur gardait, une solide rancune). C’est un philanthrope ! Je parie 100 dollars que c’est un philanthrope ! Voler un Bauman, — ou plutôt l’empêcher, par un moyen radical, de voler les pauvres, c’est se substituer à la Providence tout simplement ! Voyons, monsieur Davidson, cent dollars, que c’est un philanthrope !

— Cent dollars, tenu ! répliqua placidement M. Davidson. Ce n’est pas un philanthrope, c’est un autre voleur, une voleuse plutôt qui, maintenant, va faire chanter Bauman avec les reconnaissances. Telle est mon opinion. Mais voici Randolph Allen, il va nous donner son avis.

Randolph Allen, en effet, aussi froid qu’une carafe frappée, faisait méthodiquement son entrée.

— Merci de m’avoir attendu pour dîner, dit-il posément à Max Lamar, sans qu’une nuance d’expression passât dans sa voix. Je suis en retard d’une façon désolante. C’est d’ailleurs de votre faute.

— De ma faute ? Comment cela ? dit Lamar surpris.

— J’allais partir. Votre tailleur m’a pris une demi-heure.