Page:Leblanc - Le Chapelet rouge, paru dans Le Grand Écho du Nord, 1937.djvu/76

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bernard ? Je ne me trompe pas ? Les avertissements qu’on t’avait donnés à Paris provenaient bien de cette source ? C’est bien ainsi que tu as appris ce qui était comploté contre toi, et que M. d’Orsacq ne peut pas nier puisqu’il l’a avoué ? C’est ainsi que tu as su que les titres étaient dans ce coffre-fort ? Et c’est bien ainsi qu’ils sont rentrés en ta possession ? Parle sans scrupules. Tu as tenu ta promesse de secret, mais le secret n’existe plus. N’est-ce pas, c’est ainsi ?

— Oui, dit-il.

— Tu as reçu des lettres qui t’ont prévenu ? des télégrammes qui t’ont pressé de venir et qui ont fait que tu avais d’abord refusé et que je n’ai fini par accepter, moi, que sur ton insistance.

— Oui.

— Ces lettres, monsieur, ces télégrammes, vous les avez ? dit le juge d’instruction.

Bernard répondit :

« Je n’avais pas le droit de les garder, puisque je n’avais pas le droit de m’en servir. J’ai tout brûlé. »

— Dommage ! De tels documents eussent eu un grand poids.

— Monsieur le Juge, affirma Christiane, Mme d’Orsacq n’a pu envoyer elle-même les lettres ni surtout les télégrammes. Elle a dû utiliser les services de quelqu’un.

— Que vous pouvez désigner ?

— Gustave.

Et elle reprit aussitôt :

« Gustave avec qui il lui était loisible de parler sans que personne le remarquât, Gustave qu’elle envoyait à bicyclette jusqu’à quelque village lointain et qui mettait les télégrammes de la sorte sans attirer l’attention. Tout restait dans l’ombre. Comme gage de sa discrétion il recevait de fortes récompenses, si fortes que, ébloui, plein de gratitude, et d’ailleurs de nature très délicate, il a gardé obstinément le silence auquel il s’était engagé. »

Christiane s’approcha du garçon et lui dit tout doucement, employant la même expression qu’Amélie : « Tu vois, mon petit, tu peux parler, puisqu’on sait tout. Tu n’avais pas le droit de révéler ce que tu avais promis de ne pas dire. Mais puisqu’on le sait, ton devoir est de répondre. N’est-ce pas, tu as porté des télégrammes adressés à M. Debrioux ?

Il avoua de la tête.

« Et, chaque fois, madame te donnait de l’argent ? »

Même signe d’affirmation.

« Et l’on avait réclamé le secret ? Et c’est bien ce que tu as été sur le point de confier à Amélie ?

— Oui, madame, fit-il.

On entendit un sanglot. C’était Amélie qui pleurait d’émotion. « Est-il chic, hein, ce gosse ? Il se laissait accuser plutôt que de trahir sa maîtresse… de même que, pour moi, il n’avait pas voulu me compromettre. Qu’en dis-tu, Ravenot ? Il en a du cran ! »

Sa gorge s’étranglait à l’énumération de tant de prouesses. Elle prenait son mari à témoin. Elle félicitait Gustave et, pour un peu, l’eût embrassé.

Sur l’ordre du juge, Ravenot l’emmena. Il la soutenait par un bras, tandis que le jeune Gustave s’empressait de l’autre côté. Ils sortirent tous les trois. Il y eut une longue pause. Bernard ne quittait pas sa femme des yeux. D’Orsacq réfuta les déclarations de Christiane, sans emportement et d’un air qui laissait voir sa tristesse étonnée.

Si Mme Debrioux avait mieux connu ma femme, elle saurait que Lucienne était incapable de jouer ce jeu-là. Elle m’eût averti tout simplement, et se fût contentée de me montrer mes torts. Je demanderai donc seulement à Mme Debrioux pourquoi, suivant elle, Mme d’Orsacq eût agi derrière moi, en ennemie, en ennemie implacable.

— Parce qu’elle avait peur.

— De quoi ?

— D’être abandonnée par vous.

D’Orsacq haussa légèrement les épaules.

« Ce n’est là qu’une hypothèse. »

Il s’écarta un peu comme un homme dont le rôle est fini et qui laisse aller les événements sans consentir à les discuter.

Ce fut M. Rousselain qui reprit :

— Votre intervention, madame, si nous en admettons les termes comme acquis, aboutirait à deux résultats, qui sont de mettre hors de cause, au point de vue du vol, d’abord l’aide-jardinier Gustave, et ensuite votre mari. Mais il reste le meurtre. Que supposez-vous à ce sujet ? L’hypothèse du suicide étant considérée comme inadmissible, il y a eu crime. Qui l’a commis ?

Christiane se tut. Hésitait-elle à parler ? ou bien ne pouvait-elle apporter de réponse à cette question redoutable ?

Mais M. Rousselain y tenait, à sa question. Cette réponse, il l’exigeait. C’était le grand point à élucider. Il s’adressa donc à Bernard Debrioux.

— Traçons autour de vous un cercle restreint, voulez-vous, Debrioux ? et n’en sortons pas. À dix heures moins cinq environ, Mme d’Orsacq écoute au seuil de son boudoir. Vous entrez par cette porte. La pièce est éclairée confusément. Pas un mot n’est d’abord échangé entre vous, toutes les phases de la scène étant au préalable convenues. Elle vous remet les titres qui vous appartiennent. Vous vous en allez. C’est bien cela, n’est-ce pas ?

— Exactement.

— Bien. Maintenant, première question : pourquoi ne reprenez vous pas le même chemin ?