Page:Leblanc - Le Chapelet rouge, paru dans Le Grand Écho du Nord, 1937.djvu/30

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opinion, cher ami ? Eh bien, il y a dans tout cela un malentendu.

— Qu’est-ce que vous chantez là ? répliqua d’Orsacq avec impatience. Un malentendu ? Mais puisqu’on l’a vue…

— Évidemment… mais tout de même je persiste à croire…

— Moi aussi, dit Christiane, je ne puis admettre… C’est si contraire aux habitudes de votre femme… »

La cloche avait cessé son intolérable tocsin. Et ils entendirent tout à coup des appels qui venaient du château en même temps qu’il y avait une grande agitation sur le perron.

« Qu’y a-t-il donc ? s’exclama Jean d’Orsacq.

— On vous fait signe… Tenez, c’est Amélie qui court vers nous… Elle gesticule comme s’il y avait une bonne nouvelle. »

Ils allèrent à la rencontre de la femme de chambre, et tout de suite, en approchant, elle balbutia :

« Oh ! Monsieur, pardonnez-moi… je suis si contente !… oui, je me suis trompée… et mon mari aussi… et Antoine… »

Elle était suivie par une femme d’un certain âge, à cheveux gris, que l’on nommait la vieille Bertha, et qui, ancienne domestique au château, ne s’occupait plus maintenant que du linge et du raccommodage. Cette femme pleurait à chaudes larmes, et, au milieu de ses sanglots et de ses bégaiements, on perçut quelques mots :

« C’est de ma faute, monsieur le comte… Monsieur le comte me pardonnera… J’avais voulu voir les illuminations… j’ai eu l’idée d’aller du côté de la cascade… Comme il ne faisait pas chaud et que l’on craignait la pluie, alors, en passant près de la lingerie, j’ai attrapé la cape de petit-gris qui était accrochée là… Je ne pensais pas mal faire. Madame ne voulait plus la mettre… et l’autre soir, elle m’avait dit que je pouvais m’en servir, à l’occasion, quand elle m’enverrait le soir au village. Monsieur le comte ne m’en voudra pas… Si j’avais su qu’on pouvait croire ! »

D’Orsacq précisa :

« Pourquoi cette escapade ?

— Mais, monsieur le comte, dès qu’il a commencé à tomber des gouttes, je suis rentrée. Comme Amélie était sur le perron, j’ai retiré la cape et je l’ai mise à l’envers sur mon bras… Alors, Amélie a cru que madame la comtesse n’était pas rentrée et moi j’ai rangé la cape dans la garde-robe de madame. Que monsieur le comte vienne la voir… Elle n’est pour ainsi dire pas mouillée.

— Alors, où se trouverait Madame ? demanda d’Orsacq.

— Dans sa chambre, très probablement, fit Amélie, Madame n’a pas dû sortir. »

L’hypothèse était plausible. D’Orsacq et ses amis l’acceptèrent aussitôt. Il n’y avait aucun doute Lucienne d’Orsacq n’avait pas quitté sa chambre où elle devait dormir, toujours assoupie par les doses massives des drogues qu’elle avalait.

Ainsi, il se produisait une nouvelle détente. La dernière. La vision d’une femme qui glisse sur une planche, qui tombe à l’eau, et dont le cadavre est entraîné par le courant d’une rivière où s’accroche aux herbes de quelque anfractuosité, cela s’effaçait dans l’esprit de tous.

« Ah ! fit Mme Bresson, on respire mieux. Vraiment, nous avons perdu la tête comme des enfants. »

— Oui, approuva Christiane, nous n’aurions jamais dû concevoir la possibilité de cette promenade. »