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Ils montèrent le grand escalier et d’Orsacq essaya d’ouvrir la chambre de sa femme, très doucement, pour ne pas la réveiller et la tourmenter. La porte résista. Le verrou, sans doute, était poussé. Il en fut de même à une porte du boudoir vers laquelle il se dirigea par la salle de bains.

« Décidément, elle dort, et profondément !

— Pourquoi la réveillerait-on, dit Léonie, puisque nous sommes rassurés.

— Oh ! tout à fait », dit le comte, qui se laissa mener, redescendit l’escalier principal et traversa les salons.

Dans la bibliothèque, ils retrouvèrent Vanol et Boisgenêt, qui connaissaient déjà la bonne nouvelle par la femme de chambre.

Boisgenêt s’écria : « Ah ! à la bonne heure. Avouez qu’on a été un peu ridicules de s’inquiéter.

— Je ne suis pas de ton avis, riposta Vanol. Tout cela ne me semble pas très clair. »

Boisgenêt haussa les épaules :

— Qu’est-ce qui ne te semble pas clair ?

— Je ne sais pas. Mais quant à moi, je garde une impression désagréable.

— Eh bien, garde-la, mon vieux, et laisse d’Orsacq nous offrir quelque chose à boire avant qu’on aille se coucher. J’ai une soif !

— Pas moi, grogna Vanol.

— Parbleu, répondit Boisgenêt, il suffit que j’aie soif pour que toi…

— Eh ! tu nous embêtes. Va boire à l’office. Amélie te servira.

Boisgenêt fut piqué, et il allait relever vertement l’allusion inconvenante de son ami, lorsque d’Orsacq se mit à marcher silencieusement dans la pièce, puis, au bout d’un instant, s’arrêta devant le coffre-fort qu’il examina :

— Curieux… curieux… dit-il entre ses dents.

— Qu’est-ce qui te préoccupe ? fit Boisgenêt.

— Rien. Maintenant que je suis rassuré, je repense à cette histoire de vol et je me rappelle que, pour ouvrir le coffre tout à l’heure, il m’a suffi d’introduire la clef et de tourner. Par conséquent, les trois chiffres étaient au point. On n’a même pas pensé, le vol effectué, à brouiller la combinaison.

— À moins, observa Boisgenêt, que le mécanisme ne fonctionne plus, ou plutôt qu’il fonctionne même si le chiffre n’y est pas.

— Je viens d’essayer, fit d’Orsacq, on ne peut ouvrir que si la combinaison est juste.

— Vous trouvez cela tout naturel ? » fit Vanol.

D’Orsacq ne répondit pas. Il était manifeste qu’il ne trouvait rien de tout cela naturel, mais on sentait qu’une pensée obscure suivait en lui son cours secret et qu’il cherchait à en surprendre toute la signification et à l’adapter aux circonstances.

Son visage exprimait les sentiments les plus divers, de l’irritation, presque de la colère, et puis de l’incertitude, des doutes. Deux fois, il rencontra le regard de Christiane. Un moment, il essaya de lui parler. Comme elle ne s’y prêtait point, il y renonça.

« Qu’est-ce que vous fichez là, Vanol ? dit-il, tandis que Vanol décrochait le téléphone. La poste est fermée à cette heure-là.

— Alors, envoyez quelqu’un en auto.

— Où ?

— À la ville. À la gendarmerie.

— La gendarmerie ? Pour quoi faire ?

— Nous ne pouvons pas rester dans cette situation, déclara Vanol. Le cambriolage s’accompagne d’incidents troublants au dernier chef.

— Vous êtes timbré ! Un vol, c’est un vol. Et ça ne regarde que celui qui a été volé.

— Ça nous regarde tous. Il y a là un ensemble de faits déconcertants que je me refuse laisser dans l’ombre.

— Quels faits ?

— Mais vous ne voyez donc rien ! s’écria Vanol en s’exaspérant, et tapant du pied comme un énergumène. Enfin, quoi ! ce fauteuil dérangé, ce coffre-fort ouvert, ces cinq cent mille francs volés, cette fenêtre pas fermée, l’affirmation de Bresson qui a vu un homme se sauver par là, ce sont des faits, des faits patents et indéniables, et qui prouvent qu’un malfaiteur est venu pendant que le château était à peu près vide, et que, dans cette partie, il n’y avait personne… personne sauf votre femme…

— Et après ?

— Après ? mais le rapprochement s’impose. Ici, un malfaiteur. Là-haut, dans ce boudoir, une femme isolée… Ici, un malfaiteur qui s’empare de cinq cent mille francs. Là-haut, dans ce boudoir, une femme seule, qui possède des bijoux, des perles, des diamants, que sais-je !

D’Orsacq avait pâli. Il chuchota :

« C’est effrayant, ce que vous dites, Vanol ! et tellement absurde !