Page:Leblanc - Le Chapelet rouge, paru dans Le Grand Écho du Nord, 1937.djvu/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans mes paroles ni accusation, ni insinuation, ni même jugement. Il y a un fait, voilà tout.

— Un fait que vous connaissiez, et que vous interprétez maintenant ?

— Un fait que j’ai deviné peu à peu depuis ce matin, à force de réfléchir, et dont je puis, à présent, établir l’exactitude absolue.

— Expliquez-vous.

Christiane garda le silence. Les mots qu’elle était résolue à dire devaient être d’une gravité exceptionnelle, pour que, sur le point de les émettre, elle parût indécise et prête à se dérober.

« Vous êtes contrainte d’aller jusqu’au bout, madame, insista M. Rousselain.

— Je le sais.

Et elle articula :

— Monsieur le Juge d’instruction, on a interrogé tous les habitants du château… sauf une personne qui, hélas ! ne pouvait plus répondre — et c’était la seule qui eût été à même de donner des renseignements utiles sur cette question des titres.

D’Orsacq eut un haut-le-corps.

— À qui faites-vous allusion ? dit-il. Ma femme n’eût pu savoir le moindre détail à ce propos.

Christiane ne répondit pas et continua :

— L’enquête est entravée par deux obstacles : le silence de mon mari et le silence de Gustave. J’estime que le silence de l’un comme le silence de l’autre proviennent des mêmes motifs.

— Qui sont ? demanda M. Rousselain.

— Des motifs de discrétion. L’un et l’autre se taisent parce qu’ils ont promis à Mme d’Orsacq de se taire.

— De se taire sur quoi ?

— Sur tous les actes qu’elle a commis, pour arriver à ce qu’elle considérait comme juste.

— Et qui était ?

— De défendre mon mari contre les attaques dont il était l’objet dans ses affaires.

Elle fit une pause. Du coup, le drame retrouvait toute sa violence. Bernard considérait éperdument sa femme. Jean d’Orsacq, dérouté, semblait ne pas comprendre.

— Mais alors, dit-il, c’est contre moi que ma femme aurait agi ? Voyons, l’hypothèse est inconcevable.

— Inconcevable à votre point de vue, monsieur d’Orsacq, mais nous devons d’abord mettre en lumière la conduite de Mme d’Orsacq, avant d’en chercher les mobiles. L’essentiel c’est ce qu’elle a fait, et non pas pourquoi elle l’a fait. Or, elle seule pouvait connaître le chiffre de la serrure, soit que vous le lui ayez dit autrefois, soit qu’elle ait perçu d’elle-même, de là-haut, le nombre de déclenchements que vous opériez en ouvrant le coffre. Elle seule a pu garder du passé une seconde clef dont vous aviez oublié l’existence. Elle seule a pu la prendre hier dans son armoire. Elle seule a pu rejoindre mon mari à qui elle avait donné rendez-vous dans la bibliothèque, — n’est-ce pas elle qui avait prié intentionnellement les Bresson d’organiser cette fête, laquelle éloignait tout le monde du château ? — Elle seule a pu ouvrir le coffre et c’est d’elle seule, enfin, que mon mari a pu recevoir les titres qui lui appartenaient, mais sur lesquels il n’aurait jamais consenti à faire main-basse lui-même. »

Jean d’Orsacq n’en revenait pas.

« Mais c’est abominable ! C’est contraire à ce que vous pensiez tout à l’heure, dans mon bureau !

— Je le confesse. Mais il n’y a pas d’autre vérité. Elle m’est apparue peu à peu et elle éclaire tout.

— Vous avez des preuves de ce que vous avancez, madame ? demanda M. Rousselain.

— J’ai celles que mon mari ne peut manquer de nous fournir. N’est-ce pas,