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freuse conviction, et soudain, dans un sursaut d’énergie, se dressa, prête à la lutte.

La lueur de la lampe aussitôt s’éteignit, avant que Nathalie eût seulement le temps de discerner la silhouette de son agresseur. Une main la saisit à la gorge. Elle retomba assise, folle d’angoisse, incapable de résister. Et cela dura tout au plus une ou deux minutes. La main ne serrait pas davantage. Nathalie respirait à son aise. Mais l’autre main de l’homme cherchait autour de son cou. Son fichu fut dénoué. Un bouton de corsage fut défait. Nathalie tremblait d’horreur et de dégoût. Que lui voulait-on ? Elle comprit brusquement. La main avait saisi un bijou, une sorte de gros médaillon ancien qu’elle portait toujours sur sa poitrine, comme on porte une médaille de sainteté.

D’un coup, l’homme cassa la chaînette d’or et arracha le bijou.

Nathalie ne fit pas un geste. L’homme sauta par la fenêtre et s’enfuit.



III

Les révélations de Pasquarella

À l’heure indiquée par Ellen-Rock, surmontant sa fatigue et son émotion, Nathalie sortit de l’auberge.

Le village de Castelserano, composé de vieilles maisons inégales et pauvres d’aspect, s’accroche à la pente escarpée d’une des collines qui forment la base du vaste amphithéâtre au creux duquel se dresse l’admirable temple de Ségeste. Sans demander son chemin, ainsi qu’une voyageuse qui se promène à l’aventure, elle escalada les marches d’une rue mal pavée et tortueuse. À partir de l’église, la rue devenait un sentier, plus rude encore, et serpentait à travers des vignes et de petits jardins. Au plus haut point de la montée, elle aperçut Ellen-Rock qui la précédait d’une centaine de mètres.

Craignant le bruit que l’on eût fait autour d’elle et l’enquête qui en eût résulté, Nathalie n’avait point raconté aux gens de l’auberge l’agression dont elle avait été victime. Mais elle en gardait le souvenir terrible, et la fièvre de la peur la faisait encore, par moments, tressaillir et vaciller. La vue d’Ellen-Rock la calma soudain. Elle se sentit aussitôt à l’abri. Aucun danger ne pouvait l’atteindre, et tout rentrait dans l’ordre puisqu’il était là, à portée de sa voix. Elle se souciait peu qu’il fut ou qu’il ne fût pas l’amant de la chanteuse, et elle ne sentait aucune humiliation à l’idée de retrouver cette femme.

Il passa près d’une croix, placée au milieu d’un carrefour, hésita comme s’il eût ignoré le bon chemin, puis obliqua vers la droite et disparut.

Nathalie hâta le pas et traversa le carrefour. Une barrière chancelante, faite avec des rameaux de palmier, offrait une plaque de bois où se lisait : Casa Dolci. Elle la poussa vivement. Une clochette tinta à l’angle d’une petite maison délabrée, peinte en rose clair, où conduisait une allée bordée de cactus maigres et poussiéreux. Sur le seuil, Ellen-Rock causait avec la chanteuse italienne.

Il vint aussitôt à sa rencontre. Elle l’entendit confusément qui s’excusait de la façon dont il avait dû agir par suite des circonstances. Elle était si lasse que, à peine entrée dans la pièce principale du rez-de-chaussée, il lui fallut s’asseoir.

— Comme vous êtes pâle ! dit Ellen-Rock. Que s’est-il passé ?

— Rien… Rien… affirma Nathalie qui, après quelques secondes de défaillance, recouvra son empire sur elle-même. Il ne s’est rien passé… ou du moins rien qui doive nous occuper en ce moment. Tout à l’heure, vous saurez…

Il n’insista pas. Pour lui, évidemment, tout l’intérêt de cette réunion devait tourner autour de Pasquarella Dolci. S’il avait combiné l’entrevue, c’était afin de mettre la jeune fille en face d’elle, Nathalie, et cela pour des raisons qu’il allait expliquer.

Elle les regarda tous deux. La physionomie grave de l’Italienne montrait quelque chose de plus farouche encore et de plus obstiné, qui lui donnait une expression combative. Lui, également, il prenait un air hostile et dur, tout différent de cet air insouciant et presque joyeux, par quoi il avait attiré Nathalie, le premier jour. Il était absorbé et suivait sa pensée intime comme si rien n’avait pu l’en détourner. Toute son entreprise aboutissait à l’entrevue actuelle. Il fallait que l’un des deux cédât, la chanteuse ou lui.