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Page:Leblanc - Le Prince de Jéricho, paru dans Le Journal, 1929.djvu/17

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— Pourquoi ? dit Ellen-Rock.

— Parce que les lésions provoquées rendent définitive l’abolition des facultés observée après l’accident. Et c’est naturel puisque les cellules elles-mêmes sont dissoutes dans la cicatrice qui se forme.

— Et comment le diagnostic peut-il s’établir ?

— Par le temps. N’a-t-on pas vu, après de longues années, la résurrection de connaissances qu’on avait le droit scientifique de juger anéanties par lésion cellulaire ?

— Mais l’oubli total du passé par lésion peut-il se concilier avec l’intégrité de l’intelligence ?

— Pourquoi pas ? On observe des sélections incompréhensibles dans le mal. Tel blessé guérit avec l’oubli d’une seule des langues étrangères qu’il parlait. La mutilation verbale subie par tel autre ne s’étend qu’à quelques mots du vocabulaire. Sans se douter de sa méprise, l’être rétabli substitue aux termes absents de sa mémoire d’autres termes d’un sens tout différent.

— Mais mon cas, docteur ?

— Votre cas, cher monsieur, me semble entrer dans la classe des amnésies rétrogrades, ainsi que l’on appelle l’oubli total de tout ce qui précède l’accident. Rien n’empêche de croire qu’une violence peut découper, parmi les localisations des circonvolutions cérébrales, juste celle qui se rapporte à la mémoire, en laissant intactes toutes les autres forces qui dorment dans le cerveau.

— Mais alors, comment guérirais-je ?

— C’est difficile à préciser. Mais je suppose qu’un jour ou l’autre vous receviez un nouveau choc…

— Je vous remercie !

— Je parle d’un choc moral. Demain, dans un mois, dans un an, le hasard d’une violence quelconque, d’ordre émotif, peut faire repartir le courant à travers les cellules dévitalisées, comme une petite secousse expérimentale fait repartir le tic-tac de la montre arrêtée. Et l’on saura que vous n’aviez reçu qu’une commotion.

— Allons ! plaisanta Ellen-Rock, espérons que je ne suis qu’un commotionné et non pas un contusionné.

— J’en suis convaincu, dit le doc-