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Page:Leblanc - Le Prince de Jéricho, paru dans Le Journal, 1929.djvu/30

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Et il ajouta avec un petit ricanement qui fit tressaillir Nathalie :

— Dommage ! c’eût été agréable de couler une de leurs barques. J’aurais cueilli un des sacripants par la peau du cou et l’aurais bien contraint à se confesser.

Ils glissaient sur l’eau invisible. Ellen-Rock avait éteint sa lampe et piquait vers le large. Les lumières qui marquaient de place en place la côte de l’Esterel devenaient plus indistinctes. Nathalie songeait qu’elle s’en allait moins en reine délivrée qu’en captive. Mais elle n’éprouvait aucun sentiment de révolte, et pour rien au monde ne se fût plainte ou n’eût prononcé une parole. Lui aussi, il se taisait.

Après quinze ou vingt minutes au plus, ils arrivèrent en vue de Cannes dont les clartés grandissaient, et ils pénétrèrent dans le petit port. Ellen-Rock leva quatre fois sa lampe rallumée. Une même lueur balancée quatre fois lui répondit et s’immobilisa.

C’était le but. Il l’atteignit aussitôt.

Un homme se tenait sur le quai, un matelot dont on voyait à la lumière d’un réverbère la face basanée, encadrée de favoris gris.

— Je vous présente Berteux, dit Ellen-Rock, qui lança une corde et rangea le Vif-Argent. C’est un serviteur de la vieille roche envers qui j’ai pu me rendre utile et qui compose à lui seul tout mon équipage. Eh bien, Berteux, as-tu vu deux barques accoster ?

— Non, patron.

— Tu es sûr ?

— Oui. Pas un bateau, ni grand ni petit… ni plaisance ni pêche… rien depuis le coucher du soleil.

— Parfait. Nous les devançons.

Ellen-Rock et Nathalie attendirent, toujours dans le canot et toujours silencieux. Mais le temps s’écoula, et onze heures sonnèrent à l’église du vieux Cannes qu’aucune embarcation n’était survenue. Sans doute la bande de Jéricho avait poussé jusqu’à Antibes, ou même jusqu’à Nice.

Ellen-Rock n’était pas homme à perdre son temps. Au bout d’une demi-heure, il dit à Nathalie :

— Vous n’êtes pas trop lasse pour faire un dernier effort ? Je ne vous demande que quelques minutes. Ce matin, dans la conversation que j’ai surprise au jardin public de Nice, les Espagnols ont parlé d’un café de matelots où la bande se retrouverait à l’occasion.

— Allons, dit Nathalie, qui continuait à obéir comme si elle n’avait plus ni volonté ni pensée personnelle.

Il marchait rapidement, oublieux de sa compagne et tout à l’action qu’il poursuivait.

Ils traversèrent une place et gagnèrent la vieille ville. Une rue tortueuse montait. Quand ils eurent grimpé durant une centaine de mètres, il s’arrêta et dit :

— C’est là… Vous voyez la vitrine éclairée ?… Écoutez… On chante…