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Page:Leblanc - Le Prince de Jéricho, paru dans Le Journal, 1929.djvu/35

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Trois minutes plus tard, sans un faux mouvement, avec une adresse et une sûreté incroyables, Nathalie sautait sur le sentier de la berge, le remontait, atteignait la grand-route à deux cents pas au-delà de Mirador, et parcourait vivement la distance qui la séparait de la station du Trayas.

Elle prit un billet pour Paris et s’installa dans le premier train. Mais à Toulon, le visage enveloppé d’une gaze, elle le quittait et se faisait conduire au port.

Un joli yacht s’y balançait, fin, élancé, d’un luxe raffiné avec ses cuivres et ses bois précieux. C’était le Nénuphar, construit jadis sur les plans mêmes de M. Manolsen, et qui se tenait toujours prêt à partir pour les croisières que Nathalie entreprenait de temps à autre. Le capitaine Williams et les six hommes de l’équipage lui étaient dévoués corps et âme.

— En route, capitaine, dit-elle.

— À quelle heure, mademoiselle ?

— À deux heures.

— Direction ?

— L’Espagne… les îles Baléares.

À deux heures précises, le Nénuphar sortait de la Grande Rade et gagnait la pleine mer.

Une partie de l’après-midi, Nathalie resta sur le pont, étendue sur un fauteuil transatlantique, les yeux tournés vers la ligne des côtes. Elle n’essayait pas de se donner le change sur les raisons qui l’éloignaient de France. Les ennuis possibles de l’instruction, l’interrogatoire éventuel, le bruit fait autour de son nom, la mise au point exacte de ce qui s’était passé, autant de choses dont elle se souciait peu, et qui n’entraient pas en compte dans ses décisions. Mais l’idée de revoir Ellen-Rock lui était insupportable. Elle gardait de leur rencontre une impression de défaite qui la blessait au plus profond de son orgueil, et qui demeurait en elle si vivace qu’elle avait peur d’une nouvelle entrevue et d’un nouveau duel de leurs deux volontés.

Au fond, elle, toujours si lucide et si volontaire, elle agissait inconsciemment et, pour ainsi dire, automatiquement. Elle avait glissé le long de la falaise à la manière des somnambules qui se promènent, sans tomber, au faîte d’un mur. Elle se sentait moins forte que l’adversaire, battue d’avance, et c’est pour re-