Page:Leblanc - Le Prince de Jéricho, paru dans Le Journal, 1929.djvu/38

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Nathalie hocha la tête.

— Celui-là entreprend, il n’y a pas de folies pour lui…

Le canot avançait avec une régularité impressionnante. À chaque seconde l’intervalle diminuait… Cinquante mètres, quarante, trente… Nathalie distinguait le visage même d’Ellen-Rock. L’expression n’était point agressive, ni crispée, ni sarcastique, mais simplement réfléchie. De ses yeux attentifs, Ellen-Rock mesurait la distance et choisissait sa route, tout en criant ses ordres d’une voix sèche qui dominait le tumulte du vent.

Assis au volant, Berteux, le matelot, obéissait. Près de lui, la femme était assise, la tête et le buste entourés d’un châle de laine tricotée, de couleur violente. Nathalie savait que cette femme n’était autre que la chanteuse italienne.

À vingt mètres, le canot obliqua sur la droite, évitant le sillon creux et le bouillonnement des flots que laissait derrière lui le Nénuphar. Et presque aussitôt il fut à hauteur du yacht.

— Damné personnage ! grogna le capitaine Williams. Comment peut-il tenir sur sa coque de noix sans perdre l’équilibre ? Il fait de la corde raide, les mains dans ses poches.

Les marins de l’équipage s’étaient groupés autour de leur capitaine. De ses deux poings convulsés, Nathalie s’agrippait à la rampe du bastingage et plongeait son regard au fond du gouffre bouleversé où bondissait la barque. Ellen-Rock leva la tête et ôta sa casquette.

Il semblait toujours très calme et surveillait la manœuvre si tranquillement que l’on eût dit que sa présence suffisait à écarter le péril. Le canot se rangea contre le yacht.

— C’est de la démence ! protestait le capitaine Williams. Enfin, quoi ? Il va couler. Qu’espère-t-il ?

Ce qu’Ellen-Rock espérait ? Saisir un câble qui pendait le long du yacht. Deux fois il faillit l’atteindre. Mais le canot se heurtait brutalement au flanc du Nénuphar, qui le rejetait au loin, comme une balle. Cependant, à la troisième tentative, il bondit, s’accrocha à la corde, demeura suspendu au-dessus de l’abîme, et on le vit qui s’élevait vers le bastingage, grâce à un effort prodigieux et en s’arc-boutant des deux jambes.

Le capitaine Williams fut pris de