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Page:Leblanc - Le Prince de Jéricho, paru dans Le Journal, 1929.djvu/61

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me où sa présence sera nécessaire ! Deus ex machina !

Maxime revint vers Nathalie et lui dit à mi-voix :

— Je ris, ma chère amie, parce que c’est mon habitude de rire, même au milieu des pires dangers. Mais croyez-moi, et soyez prête à tout.

Elle sentit que l’avertissement était sérieux, mais ne put s’empêcher de rire, elle aussi.

— Je suis prête à tout, Maxime.

— À bientôt, Nathalie. Sans adieu, Forville.

Forville ne broncha pas. Maxime recouvrit son élégant complet d’un pardessus trop long et démodé, dont il releva le col, et de la poche duquel il extirpa une vieille casquette. Cette casquette enfoncée jusqu’aux yeux, une pipe dans sa bouche, il se tourna du côté de Forville et cria :

— Vive Ellen-Rock !

Puis, ayant poussé dehors ses deux acolytes, il s’en alla.

— Quel fantoche ! murmura Forville.

Nathalie ferma la porte et sonna sa femme de chambre pour qu’on ôtât le couvert. Sans s’occuper de Forville qui retombait dans son silence, elle s’étendit sur une chaise longue et alluma une cigarette.

Après un moment, Forville, furieux qu’elle ne l’interrogeât point, tapota des doigts un guéridon voisin. Nathalie suivait du regard la fumée de sa cigarette. Il se leva et marcha en frappant des pieds. Cela dura quelques minutes. C’était lui, maintenant, que le silence gênait et qui eût voulu le rompre. À la fin, il prit un journal, y jeta un coup d’œil et dit :

— Encore un cambriolage… Tenez, dans cet hôtel même ! Il faut se méfier, Nathalie. Quand on choisit comme demeure les caravansérails que sont les palaces, on s’expose à des dangers imprévus. Ainsi, voilà cette porte… Parce qu’elle est fermée à clef et au verrou, vous vous croyez à l’abri. Or, vous ne savez pas s’il n’y a pas là derrière un malfaiteur qui vous guette… La preuve, les journaux la donnent quotidiennement.

Il désignait l’article et continua d’en lire le titre.

— Un cambriolage au Paris-Palace… Deux millions de bijoux volés à une Américaine. Le voleur est retrouvé grâce au baron d’Ellen…

Ce fut Nathalie qui acheva, d’un ton moqueur :

— Grâce à Ellen-Rock.

Il eut un geste de colère. Elle insista.

— Vous n’avez pas de chance, Forville. Pendant tout le déjeuner, Maxime et ses amies n’ont parlé que d’Ellen-Rock. Vous ouvrez un journal, et le premier nom qui vous tombe sous les yeux… Ellen-Rock.

Il avait repris sa marche, de plus en plus nerveux, et il mâchonnait :

— Que faisait-il encore là ? Dix fois que je l’ai vu qui rôdait dans les couloirs ou autour de l’hôtel. De quel droit ?

— Tout le monde a le droit de se promener autour de l’hôtel où j’habite, même Ellen-Rock.

— Surtout Ellen-Rock.

— Pourquoi, surtout ?

— Parce qu’il veille sur vous !… Il a pris en main votre défense ! Il vous protège ! Il pourchasse vos soi-disant ennemis ! Ah ! l’exécrable personnage ! Équivoque, imposteur, sorcier de bas étage… À Paris comme à Nice, il continue à jouer les Cagliostro, au grand ébahissement des snobs. Les journaux colportent le récit de ses exploits et de ses miracles. Un jour, il saute debout sur des chevaux emballés. Le lendemain, il se jette dans la Seine pour sauver une vieille dame. Cabotin.

Nathalie prononça, très calmement :

— C’est donc du cabotinage de sauver une vieille dame ?

— Oui, quand on fait ça pour la galerie.

— Vous êtes dur.

— Ah ! dit-il, c’est que je vous sens tellement troublée !

— Moi, troublée ?

— Oui. Tout votre être s’est modifié subitement. Expression, sourire, intonation, attitude, tout est nouveau en vous.

— La jalousie vous égare, mon pauvre Forville, dit-elle avec indulgence. Vous savez fort bien qu’Ellen-Rock ne m’a même pas rendu visite, que je l’ai rencontré deux fois dans le hall de l’hôtel, que j’étais avec vous, et qu’il m’a tout au plus saluée.

— Ah ! justement, pourquoi cette discrétion exagérée ? Qui lui interdisait de venir à vous ouvertement et de vous parler ?