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supériorité sur un pirate pour une femme romanesque !

Nathalie s’impatienta.

— Assez, n’est-ce pas ? ordonna-t-elle. Je comprends la jalousie et l’injustice, mais je n’accepte pas d’être insultée.

Forville ne baissa pas le ton.

— Tant pis ! J’aime mieux en finir.

— Qu’appelez-vous en finir ? dit Nathalie, qui s’animait à la lutte.

— En finir, c’est vous demander de faire votre choix.

— Mais je n’ai pas de choix à faire.

— Si, entre lui et moi. Nous étions presque fiancés. Vous ne m’aviez pas dit oui, mais j’avais un droit d’espoir. Si c’est non irrévocablement, n’hésitez pas. J’aime mieux tout que cette incertitude.

Elle le défiait du regard, sans répondre, mais avec un sourire à peine marqué, si cruel cependant qu’il eut peur soudain de ce qu’elle allait dire, et de cette rupture inévitable dont il ne doutait pas au fond de lui-même. Pour la prévenir tout de suite, il murmura :

— Taisez-vous… Je sais… je sais…

Et, tout près d’elle, frémissant et contracté :

— Ah ! dit-il, comment vous briser ? Il y a des fois, vraiment, où je pense qu’il suffirait peut-être de vous brusquer.

Elle recula un peu, aussitôt sur la défensive, tandis qu’il chuchotait :

— Oui, vous me l’avez dit un jour : « J’ai tellement l’orgueil de moi et le respect de ma personne que je me croirais déshonorée par celui qui m’aurait pris les lèvres de force ou par surprise et que j’accepterais peut-être ma défaite. » Alors… je pense quelquefois… je me demande… Ah ! vous contraindre… écraser votre volonté…

D’un geste impulsif, il la saisit aux deux épaules. Elle demeura impassible, ne croyant pas qu’il oserait. Mais il n’avait plus conscience de ses actes et, de toutes ses forces, il voulut l’attirer contre lui, cherchant son visage.

Elle fut effrayée et raidit ses deux bras. Il les ploya d’un coup. Sa main ramena vers lui le buste qui se renversait. Il la plaqua contre sa poitrine et toucha presque la bouche qui se dérobait avec horreur. Alors, éperdue, elle cria, par deux fois :

— Ellen-Rock !… Ellen-Rock !…

Tout cela s’était produit en l’espace de quelques secondes, et dans un désordre brutal. Le cri de Nathalie avait été aussi involontaire que l’attaque de Forville. Il fut suivit d’un silence stupéfié. Peu à peu, Forville desserrait son étreinte et, tandis que Nathalie se dégageait, il prenait un air d’attente inquiète, comme s’il avait cru réellement qu’Ellen-Rock allait apparaître. Et c’était si drôle, cette évocation instinctive d’un adversaire caché quelque part, et prêt à surgir comme il avait surgi derrière le parapet de Mirador, que Nathalie, toute fiévreuse et les nerfs surexcités, éclata de rire.

— Vous voyez bien qu’il me protège, mon pauvre Forville. Son nom suffit pour conjurer le mauvais sort… Ah ! ce que vous êtes comique ! Et comme vous avez peur !