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dence que tu paies aujourd’hui. Réponds maintenant.

Forville ne pouvait plus opposer la moindre résistance. Fuyant le regard de Nathalie, il murmura :

— Et après ? Qu’est-ce que cela signifie ? J’ai pu être en relations avec un monsieur qui s’appelait Jéricho ou qu’on appelait Jéricho par dérision… Il faudrait établir que ce Jéricho-là fût le bandit dont il est question.

— La lettre est signée Boni, ce qui signifie évidemment Boniface, Boniface, l’âme damnée de Jéricho.

— Supposition !

— Soit. Mais la date va nous fixer, dit Ellen-Rock. Le 3 mai. Or, nous savons que M. Manolsen, ton patron, selon l’expression employée, se trouvait à Naples au mois de mai de cette année-là. Ne l’y as-tu pas rejoint ?

— Oui, affirma Nathalie, il est venu passer huit jours au même hôtel que nous.

— Eh bien ! conclut Ellen-Rock, il résulte de notre enquête en Sicile que Jéricho est venu en même temps à Naples, et qu’il rôdait autour de M. Manolsen. La semaine suivante, M. Manolsen allait à Palerme. Deux semaines plus tard, il mourait à Ségeste, assassiné.

Cette fois Forville se révolta et d’une façon si spontanée qu’il était impossible de nier qu’il fut sincère.

— Ah ! cela non, s’exclama-t-il avec force… Je ne suis pour rien là-dedans. J’avais pour M. Manolsen une profonde affection et une grande reconnaissance. Il m’avait promis la main de Nathalie, et jamais une pensée aussi monstrueuse…

— Les faits sont là, dit Ellen-Rock.

— Mais la vérité n’est pas là. Oui, je le confesse, il y a eu un projet de rencontre entre Jéricho et moi, mais le projet ne se réalisa pas.

— Pourquoi ?

— Parce que Jéricho ne vint pas au rendez-vous.

— Mais tu le connaissais ?

— Non. Et je ne connaissais pas non plus Boniface. Je l’ai vu pour la première fois à Mirador, et j’ignorais alors que ce fut un complice de Jéricho. C’est par le hasard d’affaires communes que j’eus l’occasion de correspondre avec Jéricho.

— D’accord, fit Ellen-Rock, et je veux bien croire que le but de votre rencontre n’était pas d’attenter à la vie de M. Manolsen. Seulement, voilà. M. Manolsen voyageait avec un sac de bijoux. Jéricho le savait et c’était le vol de ce sac que vous aviez l’intention de négocier, de ce sac que Mlle Manolsen devait emporter à Paris.

Forville ne répondit pas. Qu’était-ce qu’une présomption de vol prémédité auprès de la redoutable accusation d’assassinat ? Il avait écarté celle-ci. Il ne se défendit pas contre l’autre.

La conversation était finie, cette conversation commencée à Paris, entre Nathalie et Forville, et dont Forville avait réclamé l’achèvement à Nathalie. Elle s’achevait sous la volonté inexorable d’Ellen-Rock. Forville était vaincu et sans force pour continuer son œuvre mauvaise. Ellen-Rock avait en main toutes les armes nécessaires pour le réduire à l’impuissance et le perdre.

— Ta situation dans la maison Manolsen va être liquidée de manière que tes escroqueries restent dans l’ombre. Maxime se charge de tout et s’entendra avec les principaux employés. Maxime, vous avez les papiers nécessaires, acte de délégation, procuration, etc. ? Signe, Forville.

L’autre signa.

— C’est bien, dit Ellen-Rock, tu es libre. Va-t’en.

Forville, inquiet, désigna le dossier.

— Ces pièces ?

— Elles m’appartiennent.

— Mais…

— Mais quoi ?

— Elles me seront rendues ?

— Non.

— Comment ! elles ne me seront pas rendues ? Cependant, j’ai accepté toutes les conditions.

— Aucun rapport.

— Alors, il me faudra demeurer sous la menace d’une dénonciation possible ?

Forville se rebiffait. Les exigences d’Ellen-Rock le terrifiaient.

— C’est à prendre ou à laisser, dit Ellen-Rock.

Forville s’approcha de lui.