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Page:Leblanc - Le Prince de Jéricho, paru dans Le Journal, 1929.djvu/85

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Il n’attendit pas la réponse de Maxime. Il se rassurait lui-même par son affirmation, et il acheva :

— D’ailleurs, nous allons avoir une certitude par Boniface. Cette certitude, je la connais d’avance. Tout de même, il y a des choses qui ont besoin d’être expliquées. Boniface a connu Jéricho. Il nous renseignera sur cet homme, et je saurai quels rapports il y avait entre Jéricho et moi. Ah ! enfin, je vais savoir.

Il parcourait la pièce en tous sens et répétait, secouant ses bras tendus :

— Je vais savoir !… Peut-être Jéricho m’a-t-il connu !… Je vais savoir ! Je vais savoir ! Quelle ivresse !… Savoir !… Savoir !…

Brusquement, il se dompta, et aussi calme en apparence que si son destin n’était pas en jeu :

— Encore quelques minutes. Préparons tout, Maxime.

L’instant approchait, en effet. La riposte était prête, mais il fallait l’adapter au plan de l’ennemi d’une façon plus efficace encore. Ellen-Rock et Maxime revinrent au salon. En hâte, Ellen-Rock posa une question à Pasquarella :

— Précise. Tu as téléphoné tantôt pour mettre Mlle Manolsen en garde contre le vin qui lui serait servi…

— Oui, et je vous répète que j’ai cru d’abord à du poison. Mais, depuis, j’ai entendu Boniface. Il avait décidé que Ludovic ferait dissoudre dans la demi-bouteille un gramme d’une substance dont je n’ai pas discerné le nom. L’effet devait se produire une heure ou deux plus tard, lorsque Mlle Manolsen serait montée chez elle.

Nathalie ne disait rien, comme si elle eût voulu éviter les paroles qu’Ellen-Rock pouvait lui adresser. Cependant, il lui dit :

— Si vous avez confiance en Maxime et en moi, mademoiselle, vous irez jusqu’au bout de ce que vous avez commencé. Ayant bu la drogue, ainsi que Boniface le suppose, vous affecterez de vous être endormie subitement, sans avoir eu le temps de gagner votre chambre. N’est-ce pas ? Vous avez ouvert l’armoire, pris votre sac de voyage et déposé le reliquaire parmi les bijoux. Et puis le sommeil inévitable vous a saisie, et vous n’avez pas quitté le fauteuil où vous lisiez.

Nathalie obéissait au fur et à mesure. Elle défit la chaînette du reliquaire et plaça le bijou sur la table voisine, auprès des bagues. Un livre qu’elle prit glissa de ses genoux jusqu’à terre. Ellen-Rock rabattit encore l’abat-jour qui entourait l’unique ampoule et murmura :

— Vous n’aurez aucune crainte, n’est-ce pas ? D’ailleurs cet homme ne vient que pour voler…

— Oui, affirma Pasquarella, il l’a juré. Il n’apportera aucune arme. C’est la condition posée par Ludovic.

— N’importe ! dit Ellen-Rock, je suis là… Je réponds de tout.

La pendule marquait onze heures quarante. Chacun prit son poste.

Pasquarella passa dans la chambre de Maxime et laissa le battant tout contre. Ellen-Rock se mit dans un renfoncement obscur du vestibule, à un endroit où il ne pouvait être vu. Derrière lui, Maxime s’installa au seuil de la salle de bains.

Il n’y avait aucun bruit dans cette partie de l’hôtel. Dehors, c’était le roulement habituel des automobiles. Maxime chuchota :

— Ça ne va pas tarder. Ces coups-là s’exécutent à l’instant fixé. Sans quoi… Écoutez… Non… ce n’est pas encore ça… Alors, Ellen-Rock, vous êtes un peu suffoqué par l’aventure, hein ? Mais non, mais non… Boniface débrouillera toute la question. Voyons, quoi, il y a des choses par trop invraisemblables. Ainsi, par exemple…

Ellen-Rock articula, poursuivant sa pensée :

— Je donnerai la lumière en plein quand il repartira, et, de la sorte, je me rendrai compte de la façon dont il réagira en me voyant.

— Et après ?

— Après ? Eh bien, s’il m’a connu, je le saurai, c’est l’essentiel.

— À votre place, cher ami…

— Silence. Ce doit être eux.

Non loin, le déclenchement de l’ascenseur avait retenti. Puis, plus rien. Ellen-Rock colla son oreille contre la porte. Mais le tapis du couloir étouffait les pas.