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GRISERIE

verte où il colla ses lèvres. Sous le baiser profond et tiède, la jeune femme se raidit et retint à peine un gémissement ardent.

— Je te dis, Antoine, que tu te trompes de chemin, prononça sur l’avant de la voiture la voix troublée de Richard L’Heurois.

— Tais-toi, protesta Antoine. Moi, me gourrer dans la forêt de Saint-Germain. Mais, je la connais comme ma poche !

Il frôla dangereusement un fossé, redressa la voiture, reprit :

— Tiens, tu vois, tu as manqué de me faire verser avec tes histoires. Le chemin… tiens, c’est celui-là, Regarde-moi s’il est chic…

Il s’y engagea. C’était un petit chemin forestier, capricieux, entièrement désert, qui bientôt commença à descendre en pente douce.

Et tout à coup, à quelque distance, apparurent deux lueurs fixes qui, dans la brume légère et chaude, semblaient deux astres fantômes magiquement suspendus dans le ciel bas.

— Qu’est-ce que c’est que cela ? Allons voir, grommela Antoine. Il fonça.

À gauche du chemin et un peu en retrait, une maison qui parait morte et qu’entourent des bosquets, masses plus sombres.

Et soudain avec un juron étouffé, Antoine bloque brusquement, éteignant ses phares. Une petite auto au travers de la route étroite la barre. Et voici, très proches, des lueurs mystérieuses. Elles tombent de deux hauts réverbères, elles coulent sur une pelouse unie qu’entourent des arbres, des bouleaux d’argent qui frémissent à peine dans la nuit immobile.

Et au centre de la pelouse, en contrebas, dans la nappe de lumière tamisée qui tombe des hautes ampoulés bleues, sur le gazon que baigne cette clarté de lune, deux femmes dansent, deux femmes nues dont les corps sveltes et fins, s’enlacent, ondulent, se déplacent harmonieusement au rythme lent de la danse que fredonne dans l’ombre une troisième femme, vêtue celle-là…

Et dans la lueur bleue, les corps blancs qu’elle bleuit, cette danse muette et alanguie, ce décor d’arbres pâles, sous le ciel obscur, dans la solitude, dans le silence, ont le charme troublant d’une vision féerique, irréelle, comme les cérémonies rituelles d’un culte très antique consacrant un mystère à une belle idole à peine charnelle.