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LE RAYON B
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des bourreaux montra la tête coupée du roi et s’évanouit dans le brouillard ainsi que l’échafaud, les soldats et les canons.

Il y eut encore quelques essais timides, essais de film où plusieurs personnes prétendent avoir reconnu la reine Marie-Antoinette et qui firent patienter un public désireux d’assister jusqu’au bout à un spectacle si chèrement payé. Mais le mouvement ne pouvait plus être contenu.

Qui le déchaîna ? Qui s’élança le premier et provoqua le désordre et, par la suite, la panique ? L’enquête n’a pas réussi à l’établir. Sans doute, la foule entière obéit-elle au désir de donner libre cours à son mécontentement, et les plus turbulents en usèrent-ils pour malmener Théodore Massignac, et même pour monter à l’assaut de l’écran fabuleux. En tout cas, cette dernière tentative échoua devant le rempart infranchissable des huissiers qui, tous armés de coups de poing américains ou de casse-têtes, repoussèrent le flot des envahisseurs. Quant à Massignac, qui eut la fâcheuse idée, après avoir relevé le rideau, de sortir de sa cage et de courir vers une des issues, il fut happé au passage et englouti dans un remous furieux de manifestants.

Dès lors, on se rua les uns sur les autres, en un besoin éperdu de querelle et de lutte qui opposait aussi bien les adversaires de Massignac aux partisans de l’ordre, que des gens exaspérés à des gens qui n’avaient pas d’autre idée que de fuir. On brandissait les cannes et les ombrelles. Du sang coula.

Pour moi, je m’esquivai le mieux que je pus et me frayai un passage dans cette mêlée indescriptible. J’y eus du mal, car de nombreux agents de police, et beaucoup de personnes qui n’avaient pu entrer, affluaient vers les issues. Enfin, je pus arriver à la grille par une trouée qui se fit au travers de la foule.

— Place au blessé ! hurlait un grand gaillard au visage glabre.

Deux hommes suivaient, portant dans leurs bras un individu recouvert de vêtements et de pardessus. La foule s’écartait. Le cortège sortit. J’en profitai. Du doigt, le grand gaillard désigna une auto de maître qui stationnait.

— Chauffeur, je vous réquisitionne. Ordre de la Préfecture. Allons, les camarades, dépêchez-vous un peu, hein ?

Les deux camarades introduisirent le blessé dans la voiture et s’y installèrent. L’homme prit place auprès du chauffeur, et l’auto s’éloigna.

Ce n’est qu’à la seconde même où elle disparut au détour de la route, que j’eus, dans un éclair, et sans aucun motif d’ailleurs, la notion exacte de ce que signifiait cette petite scène. Soudain je devinai qui était ce blessé que l’on cachait avec tant de soin et que l’on enlevait avec tant de diligence. Et, soudain aussi, malgré la transformation du visage, bien qu’il ne portât ni barbe ni lorgnon, je donnai un nom au grand gaillard à la face glabre. C’était le sieur Velmot.

Je retournai précipitamment vers l’Enclos. J’avertis le commissaire de police qui s’était occupé jusqu’ici de l’affaire Dorgeroux. Il siffla ses hommes. On sauta dans des autos. Trop tard. Les routes étaient déjà encombrées d’un tel fouillis de véhicules que la voiture du commissaire demeura clouée sur place.

Ainsi, en pleine foule, grâce au stratagème le plus audacieux, profitant d’une bagarre à laquelle il n’était sans doute pas étranger, le sieur Velmot avait enlevé son complice et implacable ennemi, Théodore Massignac.

IV

Le voile s’écarte…

Je n’insisterai pas sur les deux films de cette seconde séance et sur le rapport évident qui les liait l’un à l’autre. Nous sommes, à ce moment de l’extraordinaire aventure, trop près du but pour nous arrêter à des commentaires fastidieux. Il faut penser qu’un journal imprimait le lendemain la première et, quelques heures après, la seconde partie de ce fameux mémoire Prévotelle où