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LE RAYON B
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s’affranchir d’un souvenir qui me faisait tant de mal… et tant de bien !… J’étais domptée. Je vous fuyais, Je revenais à vous… et j’y serais revenue tout à fait, si cet homme… cet homme que vous savez, ne m’avait pas abordée un matin…

— Velmot ! Que venait-il faire ? Que voulait-il ?

— Il venait de la part de mon père. Ce qu’il voulait — je m’en suis aperçu peu à peu — c’était pénétrer par moi dans la vie de Noël Dorgeroux et lui voler le secret de son invention.

— Pourquoi ne m’avoir pas averti ?

— Dès la première minute, Velmot m’avait demandé de me taire. Plus tard, il me l’ordonna.

— Il ne fallait pas obéir.

— À la moindre indiscrétion de ma part, il vous eût tué. Je vous aimais. J’ai eu peur, et j’avais d’autant plus peur que Velmot me poursuivait d’un amour que ma haine exaspérait. Comment douter que sa menace ne fût sérieuse ? Dès lors, j’étais prise dans l’engrenage. De mensonge en mensonge, je devenais sa complice… ou plutôt leur complice, puisque mon père vint le rejoindre au cours de l’hiver. Ah ! quelle torture ! Cet homme qui m’aimait… et ce père indigne… J’ai vécu dans l’horreur et dans la honte… espérant toujours qu’ils se lasseraient, puisque leurs machinations n’aboutissaient à rien…

— Et mes lettres de Grenoble ? Et les craintes de mon oncle ?

— Oui, je sais, votre oncle m’en parlait souvent, et, sans lui révéler le complot, moi-même je le mettais en garde. C’est sur ma demande qu’il vous a envoyé ce rapport qui fut dérobé. Seulement, je n’ai jamais prévu le crime. Le vol, oui, et, malgré ma surveillance, je voyais bien que je n’étais pas de force, que mon père, la nuit, pénétrait au Logis, qu’il disposait de moyens que j’ignorais. Mais de là au crime ! à l’assassinat !… Non, non, une fille ne peut croire à cela.

— Alors, le dimanche, quand Velmot est venu te chercher au Logis, en l’absence de Noël Dorgeroux ?…

— Ce dimanche-là, il m’a dit que mon père, renonçant à son projet, voulait me faire ses adieux, et qu’il m’attendait près de la chapelle du cimetière abandonné, où tous les deux ils avaient tenté des expériences avec les fragments de l’ancien mur de l’Enclos. Justement Velmot profita de sa visite au Logis pour dérober un des flacons bleus qui servaient à mon oncle. Lorsque je m’en aperçus, il avait déjà versé une partie du liquide sur l’écran improvisé de la chapelle. Je pus saisir le flacon et le jeter dans le puits. À ce moment même, vous m’appeliez. Velmot se rua sur moi et m’emporta jusqu’à son automobile où, après m’avoir étourdie d’un coup de poing et attachée, il me dissimula sous un grand manteau. Je me réveillai de mon évanouissement dans le garage du quartier des Batignolles. C’était le soir. Je pus manœuvrer la voiture, l’approcher d’un vasistas qui ouvrait sur la rue, et sauter. Un monsieur et une dame qui passaient me relevèrent, car je m’étais démis le pied en tombant. Ils m’emmenèrent ici, chez eux. Le lendemain, par les journaux, j’apprenais l’assassinat de Noël Dorgeroux.

Bérangère se cacha la figure entre les mains.

— Ce que j’ai souffert ! Cette mort, n’en étais-je pas responsable ? Je me serais dénoncée, si M.  et Mme de Roncherolles, qui furent pour moi les amis les meilleurs, ne me l’avaient interdit. Me dénoncer, c’était perdre mon père, et, par là, anéantir le secret de Noël Dorgeroux. Cette dernière considération me décida. Il fallait réparer le mal que j’avais fait involontairement et lutter contre ceux que j’avais servis. Dès que je fus rétablie, je me mis à l’œuvre. Connaissant l’existence des instructions écrites par Noël Dorgeroux derrière un portrait de d’Alembert, je me fis conduire au Logis, la veille, ou plutôt le