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JE SAIS TOUT

Or, le matin du onzième jour qui suivit le mémoire de Benjamin Prévotelle, c’est-à-dire le 27 mai, des journaux publièrent une note signée de Théodore Massignac par laquelle il annonçait qu’à la fin de cette même journée la troisième séance de l’Enclos aurait lieu sous sa propre direction.

De fait vers midi, il se présenta. Les portes étant closes et gardées par quatre agents, il ne put entrer. Mais à trois heures arriva un fonctionnaire de la Préfecture, muni de pleins pouvoirs pour négocier.

Massignac posa ses conditions. Il redeviendrait le maître absolu de l’Enclos, lequel serait entouré d’agents et, entre les séances, consigné à tout autre personne que lui. Aucun spectateur ne pourrait être muni d’un appareil de photographie ou d’un instrument quelconque. Tout fut accordé. Pour reprendre la série interrompue des séances miraculeuses, pour renouer le fil des communications avec Vénus — car cette capitulation des pouvoirs publics devant l’audace d’un homme dont on connaissait le crime, montrait que l’hypothèse de Benjamin Prévotelle était adoptée en haut lieu — on passait sur tout.

Au fond, et personne ne s’y trompa, on filait doux dans l’espoir de prendre une revanche prochaine et, par quelque subterfuge, de mettre la main sur l’écran à telle minute où l’opération serait efficace. Massignac le sentit si bien qu’à l’ouverture des portes il eut le cynisme de faire distribuer une circulaire ainsi conçue : « Le public est prévenu que toute tentative contre la direction aura pour conséquence immédiate l’anéantissement de l’écran et la perte irréparable du secret de Noël Dorgeroux. »

Pour ma part, n’ayant pas eu la preuve que Massignac fût mort, je ne m’étais pas étonné de son retour. Mais le changement de ses traits et de son attitude me stupéfia. Il était vieilli de dix ans, se tenait courbé, et l’éternel sourire, qui semblait être jadis son expression naturelle, n’animait plus sa figure amaigrie, jaune et inquiète. Il me vit et m’entraîna à l’écart :

– Hein ! il m’a mis dans un fichu état ! Ah ! le bandit ! Il m’a roué de coups d’abord, au fond d’une cave… Et puis il m’a plongé dans l’eau pour me faire causer… Depuis, il m’a fallu dix jours de lit pour en revenir ! Ah ! ce n’est pas de sa faute si je n’y suis pas resté, le misérable ! D’ailleurs il doit avoir son compte, lui aussi… et plus sévèrement que moi, j’espère. La main qui l’a frappé ne tremblait pas.

De quelle main parlait-il, et comment le drame s’était-il dénoué dans les ténèbres, je ne le lui demandai pas. Une seule chose importait.

– Massignac, vous avez lu le mémoire de Benjamin Prévotelle ? Est-il conforme à la vérité ? Conforme au rapport de mon oncle que vous avez lu ?

Il haussa les épaules.

– Qu’est-ce que ça peut faire ? Est-ce que je conserve les visions pour moi ? Non, n’est-ce pas ? Au contraire. Je cherche à les montrer à tout le monde et à gagner honnêtement l’argent qu’on me paie. Que veut-on de plus ?

– On veut mettre à l’abri une découverte…

– Jamais ! jamais ! prononça-t-il avec colère. Qu’on me fiche la paix avec toutes ces histoires là ! J’ai acheté, oui, acheté, le secret de Noël Dorgeroux. Eh bien, je le garde pour moi, pour moi tout seul, envers et contre tout, et malgré toutes les menaces. Je ne parlerai pas plus que quand j’étais entre les griffes de Velmot et sur le point de crever. Je vous le dis, Victorien Beaugrand, le secret de Noël Dorgeroux mourra de ma propre mort, j’en fais le serment.

Lorsque Massignac, quelques minutes plus tard, se dirigea vers sa place, il n’avait plus son air de dompteur qui pénètre dans une cage, mais bien plutôt les allures d’une bête traquée, que les moindres bruits effarouchent et qui frémit à l’approche de la trique et des coups de cravache. Mais les gardiens à chaîne d’huissier étaient là, provocants, farouches, leur solde doublée, m’avait-on dit.