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Page:Leblanc - Le rayon B, paru dans Je sais tout, 1919.djvu/48

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JE SAIS TOUT

— Bérangère ! m’écriai-je. Mais où est-elle. Vous savez où elle est ?

Aussitôt je compris l’imprudence que j’avais faite en disant ainsi à haute voix le nom de la jeune fille, et m’inclinant davantage, j’approchai mon oreille pour recueillir les dernières paroles de Massignac.

Il répéta plusieurs fois : Bérangère… Bérangère… en s’efforçant d’émettre la réponse que je lui demandais et que sa mémoire lui refusait peut-être. Ses lèvres s’agitaient convulsivement, et il bredouilla des sons rauques qui étaient plutôt des râles, et où il me fut facile cependant de discerner ces mots :

— Bérangère… château… château de Pré-Bony…

Quelle que soit la tension de notre esprit lorsqu’il se fixe sur une pensée qui l’absorbe tout entier, nous n’en demeurons pas moins soumis aux mille sensations qui nous assiègent. Ainsi, au moment même où je me relevais en répétant tout bas : « Château de Pré-Bony… de Pré-Bony… » l’impression confuse qu’un autre avait entendu l’adresse donnée par Massignac se formait en moi et prenait consistance. Bien plus, je m’apercevais, après coup, que, par la position qu’il occupait à mes côtés, cet autre homme avait pu lire, comme je l’avais lu, le début de la lettre de Théodore Massignac — cet autre homme dont le maquillage savant qui recouvrait sa figure tomba soudain devant mes yeux pour faire place à la face pâle du sieur Velmot. Je regardai autour de moi : l’individu venait de se dégager de la masse des curieux qui nous emprisonnaient, et il filait à travers les groupes mouvants de la foule. J’appelai. Je criai son nom. J’entraînai des agents à sa poursuite. Il était trop tard.

Ainsi le sieur Velmot, l’ennemi implacable qui n’avait pas craint de torturer Massignac pour lui arracher la formule de mon oncle Dorgeroux, savait que Bérangère connaissait cette formule ! Et il avait appris en même temps, ce que sans doute il ignorait, l’endroit où se cachait Bérangère.

Le château de Pré-Bony… Où se trouvait-il, ce château ? Dans quel coin de la France, Bérangère s’était-elle réfugiée après l’assassinat de son parrain Dorgeroux ? Cela ne devait pas être fort éloigné de Paris, puisqu’elle m’avait demandé secours une fois, et que, l’avant-veille, elle était venue à l’Enclos. Mais, si peu loin que ce fût, comment y parvenir ? À dix lieues à la ronde de Paris, il y a mille châteaux.

— Et cependant, me disais-je, le dénouement du drame est là, dans ce château. Tout est perdu, et tout peut être sauvé, mais il faut que j’arrive là-bas. Si l’écran prodigieux est anéanti, je tiens de Massignac le moyen de le reconstituer, mais il faut que j’arrive là-bas, et il faut que j’y arrive cette nuit, ou dès l’aurore, sinon Velmot sera maître de Bérangère.

Toute la soirée, je me renseignai. Je consultai des atlas, des annuaires, des cartes. J’interrogeai, je téléphonai. Personne ne put me donner la moindre indication sur le château de Pré-Bony.

Ce n’est qu’au matin, après une nuit d’agitation, qu’un examen plus méthodique des événements me donna l’idée de commencer mes recherches par la région même où je savais que Bérangère avait séjourné. Je me procurai une automobile et me fis conduire dans la direction de Bougival. Je n’avais pas grand espoir. Mais la crainte que Velmot ne découvrit avant moi la retraite de Bérangère me brûlait d’une telle souffrance que je ne cessais de me répéter :

— C’est cela… je suis dans la bonne voie… il est certain que je retrouverai Bérangère, et que le bandit ne touchera pas à un seul de ses cheveux.

Mon amour pour la jeune fille se délivrait subitement de tous les doutes et de tous les soupçons qui l’avaient empoisonné. Au reste, je ne me souciais pas de ces détails, et ne m’embarrassais pas plus à expliquer sa conduite qu’à établir contre elle ou en sa faveur la moindre preuve. Si son baiser n’eût pas