Page:Leblanc - Les Dents du Tigre, paru dans Le Journal, du 31 août au 30 octobre 1920.djvu/183

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dans le parc. Voulant à tout prix éviter une rencontre entre vous et moi, elle m’entraîna à travers la pelouse et derrière les massifs. Vous nous suiviez cependant, et comme une grange s’offrait, elle poussa une des portes, qui s’entrebâilla et nous livra passage. Rapidement, dans l’ombre, nous parvînmes à passer au milieu de fouillis et à monter, par une échelle que nous heurtâmes, à une soupente qui nous servit de refuge. Au même moment, vous entriez.

» Vous savez la suite, votre découverte des deux pendus, votre attention attirée vers nous par un geste imprudent de Florence, votre attaque, à laquelle je ripostai en brandissant la première arme que le hasard me fournît, et finalement, sous le feu de votre revolver, notre fuite par la lucarne. Nous étions libres. Mais le soir, dans le train, Florence eut un évanouissement. En la soignant, je constatai qu’une de vos balles l’avait blessée à l’épaule, blessure légère et dont elle ne souffrait pas, mais qui aggravait l’extrême tension de ses nerfs. Quand vous nous avez vus — à la station du Mans, n’est-ce pas ? — elle dormait, la tête appuyée sur mon épaule. »

Pas une fois don Luis n’avait interrompu ce récit, fait d’une voix de plus en plus frémissante, et qu’animait un souffle de vérité profonde. Par un effort d’attention prodigieux, il enregistrait dans son esprit les moindres mots et les moindres gestes de Sauverand. Et, au fur et à mesure que ces mots étaient prononcés et ces gestes accomplis, il avait l’impression que, à côté de la vraie Florence, se levait parfois en lui une autre femme, délivrée de toute la fange et de toute l’ignominie dont il l’avait salie sur la foi des événements.

Et cependant, il ne s’abandonnait pas encore. Florence innocente, était-ce possible ? Non, non, le témoignage de ses yeux qui avaient vu, le témoignage de sa raison qui avait jugé, s’accordaient contre une pareille assertion. Il n’admettait pas que Florence différât soudain de ce qu’elle était réellement pour lui : fourbe, sournoise, cruelle, sanguinaire, monstrueuse. Non, non, cet homme mentait avec une infernale habileté. Il présentait les choses avec un tel génie qu’on ne pouvait plus distinguer le faux du vrai, ni séparer la lumière des ténèbres.

Il mentait ! Il mentait ! Mais néanmoins, quelle douceur dans ce mensonge ! Comme elle était belle cette Florence imaginaire,